Quand son agent lui a proposé de chanter à Laval le jour de la Saint-Jean, Martha Wainwright a trouvé ça cool. Mais quand il a précisé que c'était dans un festival de chorales, elle a cru mal comprendre. Normal. Je parie que même le très enthousiaste directeur artistique du Mondial Choral, Gregory Charles, ne se doutait pas à quel point cette idée était lumineuse.

Le public qui a applaudi à tout rompre la charismatique chanteuse à la salle André-Mathieu peut en témoigner. Non seulement la belle Martha a-t-elle véritablement habité les chansons qu'elle a empruntées au répertoire d'Édith Piaf, mais l'apport de la chorale, à mi-parcours, a  donné à la soirée un supplément de beauté et d'émotion.

Je n'ai pas vu Martha chanter Piaf aux FrancoFolies l'an dernier, mais la plupart des irritants qu'on m'a rapportés avaient disparu hier soir. La chanteuse jette encore un oeil à ses textes, mais ça ne l'empêche aucunement de s'investir complètement dans son interprétation, bien appuyée par un trio solide (piano, guitare et contrebasse), deux cuivres, un violon, un violoncelle et un alto. Son art sollicite son corps tout entier continuellement en mouvement, qui se courbe, se contracte, danse et bouge même parfois à la façon d'un pantin désarticulé.

Le public a applaudi sa présence et sa fougue ainsi que son humour bien particulier omniprésent dans ses présentations de chansons comme Le brun et le blond, Marie Trottoir et Soudain une vallée, où elle était particulièrement en voix. Parce que même si Martha 'joue' ses chansons, c'est d'abord cette voix bouleversante qui lui permet de s'attaquer à ce défi un peu fou. Je pense au Vieux piano où son vibrato n'était pas sans rappeler celui de la Môme et à La foule, une immortelle applaudie dès les premières mesures mais suivie de bravos qui s'adressaient d'abord à la chanteuse intense.

Martha nous avait dit qu'elle chanterait trois chansons avec la chorale dirigée par Sylvain Cooke. Elle en a fait cinq, dont Les trois cloches chantée a cappella avec les choristes masculins auxquels elle s'est mêlée à l'arrière de la scène, et Proserpina, la dernière chanson écrite par sa mère Kate McGarrigle. Cette chanson qu'elle n'avait pu interpréter sans pleurer lors d'un concert hommage à Kate, à Londres le 12 juin, sa mère l'entendait avec un choeur, nous a dit Martha. Maman avait raison. Quand les choristes se sont mis à chanter à l'unisson 'come home to mama', Martha s'est tournée vers eux et s'est mise à tanguer de bonheur tellement c'était beau. Aurait fallu l'enregistrer.

Tout de suite après, autre coup d'émotion quand Anna McGarrigle s'est amenée avec son accordéon pour accompagner sa nièce dans sa chanson Factory, qu'on n'imaginait pas chantée par une chorale. Un peu plus tard, avec ses cousins Lily et Sylvan Lanken et la chorale, Martha a repris Cheminant à la ville des McGarrigle.

Au rappel, Martha est revenue uniquement avec les membres de sa famille (sa tante Anna et sa cousine Lily aux voix, sa tante Jane au piano et son mari Brad Albetta à la contrebasse) pour chanter l'émouvante Entre la jeunesse et la sagesse des soeurs McGarrigle. Le public a alors eu droit à un 'moment McGarrigle' typique: Anna a commencé à chanter puis s'est arrêtée subitement en demandant qu'on reprenne depuis le début dans la tonalité habituelle. Et c'est reparti, la voix de Martha se mariant parfaitement à celle de sa tante.

Anna, Lily et Jane sont restées le temps de l'inédite I Am Diamond, écrite par Kate pour une comédie musicale qui sera montée un jour, foi de sa fille! Puis elles se sont éclipsées et Martha a chanté avec son trio Tell My Sister, du tout premier album des soeurs McGarrigle. Si l'esprit de Kate n'était pas sur la scène, il n'était sûrement pas très loin.