On pourrait dire sans risque de se tromper que le spectacle de la cérémonie d'ouverture du pavillon canadien à l'Exposition universelle de Shanghai, samedi soir, a été celui d'Alain Lefèvre. Le pianiste serait pourtant le premier à protester. Pour lui, ce concert avec l'Orchestre symphonique de Shanghai, sous la direction de Jean-Philippe Tremblay, était d'abord et avant tout l'affaire d'André Mathieu.

C'est un Lefèvre visiblement ému que nous avons rencontré dans sa loge après la soirée: «Ce fut une semaine très stressante pour moi: Montréal (le même Concerto no4 de Mathieu avec l'OSM), trois concerts de suite en Abitibi, un saut à Paris et pouf! je me suis retrouvé à Shanghai. Je me suis demandé comment ça allait se passer entre Mathieu et les Chinois. Quand tu joues du Beethoven et du Chopin, tu t'attends à ce qu'ils soient en terrain connu. Mais nous sommes arrivés il y a deux jours devant un orchestre qui n'avait jamais entendu parler de Mathieu. Pourtant, dès la première répétition, les musiciens ont applaudi, ils étaient émus. Et ce soir, le plus beau compliment pour nous, ils étaient sur le bout de leur chaise!»

Lefèvre poursuit: «Et il y a cette tribune qu'on a eue en Chine. J'ai fait deux ou trois émissions de télé, dont une avait une cote d'écoute de 40 millions de spectateurs. Quarante millions de personnes en Chine ont entendu André Mathieu et, depuis deux jours, sur mon site internet, on est dans le tapis! C'est donc mission accomplie.»

Lefèvre qualifie le chef Jean-Philippe Tremblay, avec qui il avait déjà joué le Concerto no 4 à Paris, d'«étoile filante parmi les jeunes chefs d'orchestre, toutes catégories confondues». Avec lui, le concert de Shanghai a été complètement différent de celui joué avec Kent Nagano la semaine précédente, affirme le pianiste: «Nagano voulait jouer Mathieu; il m'a téléphoné de Munich et on a passé quatre heures ensemble, ce qu'il ne fait jamais, à travailler mesure par mesure. Il est arrivé avec sa vision de Mathieu qui n'était pas la mienne, mais, comme j'avais joué le Concerto de Mathieu moult fois, je me suis dit que j'allais le laisser faire. La performance du Mathieu à Montréal, qui va être diffusée à la télé de Radio-Canada (ce soir à 21 h), était beaucoup plus brucknérienne, d'une dimension germanique, même. Ce soir, c'était le feu: Jean-Philippe, c'est une bombe sur scène, il a transporté l'orchestre!»

Comme l'a manifestement transporté la passion contagieuse du pianiste, charismatique et théâtral à souhait.

Mathieu planétaire

Quand, il y a deux ans et demi, François Macerola et le Cirque du Soleil lui ont proposé de participer au concert d'ouverture du pavillon canadien à Shanghai, Lefèvre a tout de suite proposé André Mathieu. «En 2010, bizarrement, c'est probablement le compositeur dont on va le plus parler sur la planète», renchérit le pianiste qui ira bientôt le faire entendre à Londres et à Berlin. Et voilà la Pologne qui le réclame dans deux ans: «Une quinzaine de concerts avec l'Orchestre de la radio de Varsovie, un grand orchestre», confirme Lefèvre.

Le pianiste, on le sait, s'est consacré corps et âme à la réhabilitation d'André Mathieu. S'il estime que les Québécois ont eu du mal à s'approprier un compositeur romantique «avec ses défauts et ses qualités», il croit aussi que «cette certitude dont nous avons besoin» va passer par l'acquiescement des pays étrangers au travail du compositeur québécois disparu: «Berlin, c'est un peu mythique. Eh bien, Berlin a décidé d'ouvrir la saison avec Mathieu simplement par amour de sa musique.»