L'exposition We Want Miles, vaste concept audiovisuel construit autour de l'oeuvre de feu Miles Davis, a été présentée à Paris l'automne dernier. Avec son groupe, le bassiste Marcus Miller fut alors invité à en marquer la clôture. À Montréal, c'est l'inverse: on a invité l'ex-acolyte du mythique jazzman à inaugurer l'exposition.

Ce soir à l'Astral, Miller présente un concert intitulé Tutu Revisited. On sait que le musicien afro-américain a composé et réalisé la presque totalité des musiques de Tutu, certes le plus populaire des albums de Miles Davis au cours des années 80 - et dont le titre honorait le révérend sud-africain Desmond Tutu, prix Nobel de la paix.

«Je crois que Miles aurait apprécié quelque chose de la sorte», amorce le musicien, joint à son domicile californien avant qu'il ne s'envole vers le nord-est du continent. J'ai décidé de recruter de jeunes musiciens et de faire quelque chose de neuf avec la musique de Tutu. Plusieurs d'entre eux n'étaient pas nés lorsque Tutu a été créé en 1986! Ainsi nous allons jouer ce répertoire et plus encore, comme des extraits de l'album Amandla que j'ai aussi réalisé à l'époque.»

Autour de Tutu, indique Miller, le corpus s'étend à plusieurs musiques endossées par Miles Davis, dernière mouture.

«Au début, les années 80 de Miles m'apparaissaient comme une continuation des années 70, c'est-à-dire avant qu'il ne se retire pendant quelques années. Ce n'est qu'à partir de l'album Decoy qu'il a créé ce nouveau son de cette décennie. Il avait les choses bien en main lorsque nous avons fait Tutu», raconte Marcus Miller avant de faire l'apologie de son fameux employeur, dont le Festival international de jazz de Montréal a fait un symbole central de sa marque - en donnant son nom à son prix le plus prestigieux.

«Pour un sexagénaire qui créait encore une musique aussi vivante, c'était quelque chose d'exceptionnel. À cette époque, personne d'autre de cet âge ne pouvait faire les choses ainsi. Vous savez, la plupart des artistes se créent une identité lorsqu'ils sont dans la vingtaine et ne dérogent pas de ces bases pour le reste de leur existence... Cela dit, je ne crois pas que sa musique des années 80 puisse remplacer Kind of Blue, mais lorsqu'on refait le parcours de sa vie, il est très impressionnant d'observer que Miles a créé différentes musiques et genres encore pertinents aujourd'hui. Qu'un musicien de 60 ans puisse avoir redéfini les paramètres d'un genre à la fin de sa vie, c'est d'autant plus remarquable.»

Marcus Miller est loin d'être le seul à faire observer que Miles Davis n'a jamais craint l'innovation. De l'intérieur, cependant, le commentaire exhale une valeur ajoutée.

«Il comprenait la nouvelle culture. Vous savez, je n'ai jamais eu à expliquer quoi que ce soit à Miles de ma réalisation du projet Tutu - harmonies, mélodies, changements d'accords, etc. Il avait tout pigé. OK let's do it, m'avait-il dit, tout simplement.»

On connaît les résultats. Tutu, l'album, n'a peut-être plus l'aura de l'époque de sa sortie, mais ce fut certes le plus grand succès populaire de Miles Davis au cours de son dernier cycle de vie. Comment Marcus Miller, lui, a-t-il survécu artistiquement à ce méga-succès?

«En tant que bassiste, les gens me connaissent différemment, tout dépend du milieu musical auquel ils s'identifient. J'ai fait beaucoup de travail avec David Sanborn, Luther Vandross et Chaka Khan, etc. Je réalise encore plusieurs albums et musiques de films... Non, je ne me suis jamais senti emboîté dans le monde de Miles. Vous savez, une part de mon auditoire ne sait même pas que j'ai déjà joué avec lui!»

Marcus, dernier album de notre interviewé, comporte entre autres un funk arabisant, un mélange très adulte de hip-hop et de soul/R&B. On y débusque une reprise de Higher Ground (Stevie Wonder), un duo avec Corinne Bailey-Rae pour la chanson Free (reprise de Deniece Williams), qui se produit aussi ce soir à Montréal. Et on repère... Jean-Pierre, une reprise de l'album We Want Miles!

«J'ai créé, insiste Marcus Miller, mon propre espace musical. J'estime avoir pris une certaine distance avec cette période, mais je ne me formalise pas qu'on fasse encore le rapprochement. En tant que compositeur, je dois admettre que Miles demeure très important. Après tout, j'ai composé et réalisé pour lui... Ça fera toujours partie de moi.»

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Ce soir à l'Astral, 18 h 30 et 21 h 30, Marcus Miller présente le concert Tutu Revisited avec le trompettiste Christian Scott, le saxophoniste Alex Han, le batteur Louis Cato et le claviériste Frederico Gonzalez-Pena.