«Qu'est-ce que vous allez voir ce soir ? m'a demandé le chauffeur de taxi. Ah, Luce Dufault au Club Soda ! Ben là, vous êtes au moins sûre de passer une soirée fort agréable.» Le chauffeur avait bien raison : c'est une soirée agréable - et même plus qu'agréable en deuxième partie - que propose Luce Dufault.

Son nouveau spectacle est constitué principalement de reprises de chansons anglophones qui lui tiennent à coeur et qui figurent sur son plus récent album: ce n'est peut-être pas fort original, par les temps qui courent, les reprises, mais au moins Luce Dufault peut-elle affirmer qu'elles font partie intrinsèque de sa vie.

Car, comme elle l'a rappelé avec plein de rires dans la voix, elle est Ontarienne de naissance, Miss Dufault, fille d'un père qui venait de la basse-ville d'Ottawa et d'une mère anglo-saxonne, qui lui ont fait écouter Paul Anka et Neil Diamond, mais aussi Carole King et son magnifique album Tapestry, dont elle reprend Will You Still Love Me Tomorrow?

Des chansons bien connues, il y en a plein dans ce spectacle, que ce soit I Can't Stand The Rain popularisée par Tina Turner ou la très belle Fire and Rain (qu'elle a dédiée à un archi-fan britannique qui aurait été au Club Soda, hier, n'eut été d'un certain volcan islandais).

Accompagnée par certains de ses musiciens les plus fidèles (dont Jean Garneau, son directeur musical et guitariste) et, pour la première fois, de deux cuivres, Luce Dufault a chanté ce soir (mercredi) toutes ces immortelles les yeux généralement fermés, comme elle l'a toujours fait, tout au plaisir de les moduler avec ses cordes vocales de velours. En fait, parfois, on retrouvait sur scène la Luce des débuts, qui ne pensait ni à enregistrer des disques ni à monter des spectacles, mais uniquement à chanter de toute son âme.

Il y a bien quelques petits bémols, qui se trouvaient tous dans la première partie : la couleur Motown promise n'était pas assez souvent au rendez-vous, le blues qui sied si bien à Luce Dufault non plus, de même que des arrangements qui feraient vraiment redécouvrir la force de ses chansons. Ce n'est pas un hasard si les spectateurs ont réagi avec enthousiasme à une relecture enlevée, très rythmée, de Time After Time de Cindi Lauper, fort éloignée de l'originale et pourtant cohérente, à la toute fin de la première partie. C'est parce que cela permettait à Luce Dufault de la faire vraiment sienne. Et puis, disons-le tout net : on en aurait pris une couple de plus en français.

Comme ça tombe bien : tous ces bémols sont tombés pendant la deuxième partie. La nervosité de la première un peu estompée, Luce Dufault a été franchement craquante, rieuse, spontanée et s'abandonnant à la musique. Elle a repris avec plaisir - et des arrangements plus personnalisés - Someone To Watch Over Me ou le blues hallucinant Doctor Feelgood (cette fille est faite fondamentalement pour chanter du blues !). Elle a littéralement transporté la salle en interprétant deux chansons de son répertoire francophone qui n'étaient pourtant pas parmi ses plus connues (magnifique La merveille de vivre, texte d'Hélène Pedneault sur une musique de Richard Séguin, et Des milliards de choses, dans des orchestrations superbes), sans oublier une délicieuse Tu me fais du bien. Elle a touché tout le monde au coeur en chantant Soirs de scotch, transformée en tango argentin, puis Tous ces mots. Elle a ravi le monde avec un You Keep Me Hanging On à la manière The Doors.

Après une très chouette version de With A Little Help From My Friends, elle aurait dû en principe fermer boutique. Mais voilà, la musique l'avait prise au coeur, et nous aussi. Alors, elle a fait deux «vrais » rappels, en s'accompagnant en plus elle-même à la guitare acoustique : toujours de Carole King, Natural Woman et, de Leonard Cohen, Hallelujah.

On souhaite à tous ceux qui iront la voir pendant sa tournée - et de nouveau au Club Soda jeudi soir - qu'elle reprenne ces deux chansons qui résument parfaitement ce qu'est Luce Dufault : une femme naturelle dont la voix, lorsqu'elle chante, est en soi un alléluia.