Pendant qu'on s'inquiète du nombre de chanteurs francophones qui choisissent d'enregistrer en anglais, certains artistes anglo-saxons, eux, se réjouissent au contraire d'interpréter leurs morceaux en français! C'est le cas de la chanteuse américaine jazz Stacey Kent, dont le septième album, Raconte-moi, est entièrement écrit et chanté dans la langue de Molière...

Dans son Colorado natal, Stacey Kent n'a tout simplement pas le téléphone, c'est donc par Skype, sur internet, que sera menée l'entrevue. Rien que cela, ça ressemble assez au nouvel album de la chanteuse américaine qui adore le français: quelque chose d'une certaine France d'hier (les élégantes reprises de Jardin d'hiver d'Henri Salvador, du Mal de vivre de Barbara, des Eaux de mars adaptée par Georges Moustaki sur la musique de Jobim, etc.) et quelque chose de la France contemporaine (des chansons originales aux textes et mélodies exquis signés par de nouveaux auteurs-compositeurs comme Émilie Saat, Bernie Taupère, Camille d'Avril, Claire Denamur...).

 

«C'est marrant, explique Stacey Kent dans un français impeccable, mais ce disque qui n'est pas dans ma langue maternelle est paradoxalement mon plus personnel, mon plus intime, très, très proche de moi. Je ne crois pas que j'aurais pu chanter des chansons aussi sensuelles en anglais...» Car elles sont charnelles, parfois remplies de sous-entendus, ces chansons qu'elle interprète sur d'élégants arrangements jazz.

Par exemple, ces jeux de mots tirés de la chanson-titre, Raconte-moi...: «Il y a dans tes caresses/des croissants tout chauds/du thé à l'amour/et des fruits confus», avant de conclure: «Dessine-moi une abeille/que je te butine...»

«Dès que j'ai reçu le texte de cette chanson, j'ai su que je voulais la faire, tant elle était sublime, parfaite. Elle résume l'esprit du disque: les mots que se chuchotent deux amants, complètement intimes, dans une chambre fermée, pendant que la vie continue dehors... C'est la vie derrière la porte.»

«J'ai eu plein de temps pour trouver des chansons parfaites. Bien sûr, j'aurais pu chanter Les feuilles mortes et on m'aurait trouvé mignonne. Mais je voulais absolument des chansons qui étaient moi. Alors, ma compagnie de disques (EMI) a eu une idée incroyable: elle a envoyé un courriel à tous ses artistes en expliquant que je cherchais des chansons, et j'en ai reçu des incroyables, vous ne trouvez pas?»

On trouve. On trouve aussi que les reprises sont bien choisies - elle fait notamment une version du Mal de vivre d'une délicatesse extrême: «Nicolas (Pflug), mon directeur artistique en France, m'a envoyé de son côté des chansons, explique-t-elle. Or, j'ai d'énormes trous dans ma connaissance de la France: je n'ai pas de vie quotidienne là-bas, vous comprenez. À cause de ces trous, j'ai donc écouté la chanson de Barbara, que je ne connaissais pas du tout, en étant complètement naïve, complètement vierge, sans idée toute faite. En entendant Le mal de vivre, je savais qu'elle était ma chanson parce qu'on y trouvait une douleur incroyable et une joie incroyable, et aussi l'idée de vivre avec cette balance entre les deux extrêmes... Je ne savais pas que c'était une chanson déjà vieille; pour moi, elle était jeune comme une chanson qui venait d'être écrite par Émilie Saat!»

C'est son grand-père, émigré de Russie, qui lui a appris le français, d'abord en lui faisant réciter des poèmes de Baudelaire! «Évidemment, je ne comprenais pas ce que je disais, dit-elle avec un sourire dans la voix. Mais je crois que cela aidait mon grand-père, qui n'était pas exactement heureux: il trouvait du réconfort dans le fait de partager de la poésie avec moi. Il m'a fait deux cadeaux énormes: la langue française et la curiosité.»

Curiosité qui pousse cette francophile à apprendre, par exemple, le portugais ces temps-ci: après sa tournée en France en avril (avec arrêt au Grand Rex de Paris), elle va même se retirer un moment pour aller l'étudier! Ce qui ne l'empêchera pas de faire aussi un petit détour par Québec, où elle chantera le 10 juin, au Palais Montcalm.

Pour ce Raconte-moi, ses musiciens, anglo-saxons, ont tenu à ce qu'elle leur traduise autant que possible les chansons, pour mieux s'investir: «Et cela m'a fait réaliser, une fois de plus, l'incroyable privilège que j'ai de comprendre cette langue, de lire de la poésie en français, je suis riche de parler et d'aimer ces mots...»

JAZZ

STACEY KENT

RACONTE-MOI...

EMI

En magasin mardi

 

EN UN MOT

En 1997, après des études en littérature comparée à Londres, l'Américaine Stacey Kent entreprend une carrière de chanteuse jazz. En 2007, sur son sixième album Breakfast on The Morning Tram (Blue Note) vendu à 300000 exemplaires, elle reprenait déjà trois chansons en français (dont deux de Gainsbourg). Elle lance mardi Raconte-moi, son septième disque, tout en français cette fois.