À 85 ans, le géant de la chanson était de passage à Montréal cette semaine pour présenter À voix basse, un livre de souvenirs et de réflexions destiné aux jeunes et à ceux qui veulent suivre ses traces. «Deux ou trois choses importantes» à retenir d'un artiste qui a réussi sa vie et sa carrière.

Infatigable Charles Aznavour.

Incapable d'arrêter?

«Je suis capable d'arrêter de chanter, oui. Mais je serais incapable d'arrêter d'être dans le mouvement. Quand on arrête de tout faire, on n'a plus qu'à mourir. Je ne me vois pas assis à ne rien faire dans mon fauteuil, même à bascule!»

 

Entre le lancement d'un disque de jazz et le doublage du dessin animé Up, de Disney, il occupe les fonctions d'ambassadeur d'Arménie en Suisse, transforme en huile les olives de son domaine de Provence, expose ses photos. Chaque année, quand il ne chante pas, il trouve le temps d'être juré aux Césars, et donc de voir des dizaines de films en compétition, d'écrire et de lire (beaucoup), de rencontrer de jeunes artistes aux Éditions musicales Raoul Breton (Agnès Bihl, Grand Corps malade).

Bientôt, il partira en vacances au Cambodge et en Thaïlande, avec son fils et sa belle-fille.

Comme s'il s'était donné pour mandat de faire rougir de complexes ceux qui n'ont pas la moitié de son âge et de son énergie.

«Au contraire, je vous donne de l'espoir!» rétorque-t-il avec le charme qu'on lui connaît, au troisième jour d'un marathon médiatique où il apparaît, impeccable, en veston marine, jeans et chaussures sport. On comprend que, s'il se plie aux tournées de promotion, c'est qu'il y prend plaisir. «Toujours prêt!

- Un prochain concert bientôt au Québec?

- Un de ces jours...» fait-il.

On lui a reproché de multiplier les adieux. Il s'en défend. On aura compris qu'une «dernière» tournée ne signifie pas un dernier concert, dit-il. «Les tournées de deux ou trois mois de suite, c'est fini, tout ça.» Et pour clore le débat, il a même écrit une chanson, Je ne ferai pas mes adieux.

Un devoir d'aîné

Dans ce nouveau livre, À voix basse, qui n'est pas du tout une autobiographie, précise-t-il, mais «un devoir d'aîné envers la jeunesse montante», il s'adresse à son public et aux jeunes artistes. «Ils y prendront ce qu'ils voudront.» Il revient sur son enfance heureuse, son métier, ses doutes, et aussi sur la douloureuse nécessité de reconnaître le génocide arménien.

Il met en garde contre les dérives du star-système, les faux amis qui s'agglutinent, la tentation de rester in. «En voulant être absolument dans la mouvance, on se trahit et on trahit son public. Des Gainsbourg, il y en a un par génération, qui a su évoluer avec le temps. Les autres ne l'ont pas fait. Ni Brassens, ni Brel, ni Ferré. C'est la raison pour laquelle leur art a survécu.»

«Ça fait partie du jeunisme, ça encore. On passe à la télévision. Un beau brun devient avec des reflets bleus, vous avez remarqué? Le sourire est figé. On a l'impression que le dentier va sortir. Je suis féroce, dans ces cas-là!

- Mais vous avez la chance de vieillir particulièrement bien!

«Je connais plein de gens qui vieillissent bien! Regardez Ferrat, il est parti beau. (Il avait 79 ans.) Et encore, lui, il était beau en étant jeune...»

Car on lui a reproché à ses débuts son «physique ingrat», sa voix voilée, ses textes. À le lire, on pourrait croire qu'il en est resté meurtri. «Pas du tout!» dit-il. Il jugeait important de signifier aux artistes à quoi ils s'exposent. «Ce n'était pas des critiques que j'avais, mais un système de démolition. Une critique constructive est toujours importante.»

«Dépiauter» la légende

Avec un malin plaisir, il décrit les hommages posthumes rendus aux célébrités, la revanche des frustrés qui viennent dépeindre leur version du grand homme. Imagine-t-il déjà le traitement qu'on lui fera? «Mais oui! Il faut tout prévoir. Et sa vie, et sa mort, et après sa mort. Mais il y a pire que ça. Vous vous êtes rendu compte à quel point il y a des enfants posthumes qui arrivent tout d'un coup?» Pas de risque dans son cas, lance-t-il, moqueur: «Ils auront l'ADN, ils n'auront pas à me déterrer!»

Ses colères «d'un autre siècle», il les fait en entendant des fautes de français à la télévision. «La plupart des auteurs français (Brassens, Ferré, Béart, Moustaki) avaient des parents qui venaient de l'extérieur. Cela nous a donné cette envie de nous imbriquer dans la langue. Et c'est par la langue que nous nous sommes sentis français.

«Pour la jeune génération, on n'a pas à se plaindre parce que les rappeurs sont souvent des gens des banlieues. Les slammeurs aussi. Et pour le moment, en France, peut-être que la meilleure écriture que nous avons dans le genre vient des rappeurs et slammeurs.»

On pourrait parler avec lui pendant des heures et de mille choses. «C'est parce que je suis un illettré à la base, explique-t-il. Je suis sorti de classe à 10 ans et demi, avec des lacunes. Et j'ai passé ma vie à vouloir savoir, apprendre, comprendre. Le peu que j'ai réussi, je ne peux pas dire que ça me suffit parce que je suis boulimique!»

 

À voix basse, éditions Don Quichotte (Seuil), 228 pages.