Nicola Ciccone a l'habitude de rencontrer les journalistes et les gens de l'industrie dans un café de la Petite Italie. Aujourd'hui, il est de retour dans son «bureau» pour une première entrevue au sujet de son sixième album, Imaginaire, sur lequel il consacre justement une chanson à sa Piccola Italia.

Après Storyteller, album en anglais aux racines américaines qui tranchait dans sa discographie, le nouveau disque de Nicolas Ciccone, Imaginaire, sera peut-être perçu comme un retour aux sources. Le principal intéressé n'est pas d'accord. Cet album en français où il décline le mot amour sur tous les tons est davantage le fruit de son évolution qu'un quelconque retour. Imaginaire n'aurait pu exister sans Storyteller, insiste-t-il.

 

«De mes cinq premiers disques, Storyteller était le plus réussi, surtout musicalement, le plus contemporain, celui qui m'a le plus fait évoluer, affirme Ciccone. Il m'a permis de faire des choses que je n'aurais pas osé faire sur un disque en français auparavant, comme L'amour est un porc-épic - chanson fantaisiste inspirée des Cactus de Jacques Dutronc -, des chansons aux racines plus folk-rock comme Tu m'aimes quand même et J't'aime pas, j't'adore, avec beaucoup de guitare acoustique, alors que sur mon dernier album en français (Nous serons six milliards), j'utilisais plus le piano. Je n'aurais pas eu le cran de faire une chanson comme Féminité. Avec Storyteller, j'ai appris à redevenir un adolescent et à faire de la musique d'une façon légère.»

C'est aussi parce qu'il s'est permis d'enregistrer Me and Bobby McGee sur Storyteller que l'auteur-compositeur en lui ose aujourd'hui laisser toute la place à l'interprète en reprenant la version italienne d'un autre classique: L'amore esiste ancora de Cocciante et Plamondon. «Il y a deux ans, j'ai participé à un spectacle en hommage à Luc Plamondon, raconte Ciccone. Ma chanson préférée, c'est L'amour existe encore, mais j'avais le goût d'en faire une version un peu moins connue. J'avais une peur bleue parce que Plamondon était dans la salle, mais il a tellement aimé ma version qu'il m'a suggéré de l'enregistrer. Venant du pape, tu fais OK.»

Son troisième album, J't'aime tout court, s'est vendu à plus de 200 000 exemplaires, mais Nicola Ciccone n'aime pas causer chiffres. «On n'est pas des joueurs de hockey, on est des chanteurs», répond-il. N'empêche, son rythme de croisière est exceptionnel. Il a donné en moyenne 100 spectacles après chacun de ses trois derniers albums, dont Storyteller qui, en plus de trouver 30 000 acheteurs, lui a permis de gagner le Félix populaire de l'interprète masculin au dernier gala de l'ADISQ.

Qui dit mieux?

Les racines

Autre première, Nicola Ciccone a enregistré sur Imaginaire deux courts monologues qui servent de préambules à autant de chansons. Les mots qu'on a peur d'entendre précède Féminité, chanson inspirée d'un petit texte que lui a commandé le magazine Clin d'oeil pour un numéro sur le cancer du sein. Tandis que Boulevard René-Lévesque met la table pour la chanson L'immigrant, deux textes inspirés des nouveaux Québécois de la génération de son père.

«Je cherchais une image qui rassemblait tous les Québécois et ce que j'aime du boulevard René-Lévesque, c'est qu'il traverse vraiment la ville d'est en ouest, qu'il rassemble les francophones et les anglophones, explique Ciccone. Je trouve intéressant que des gars comme mon père et ses chums grecs et portugais qui ont construit plein de routes soient liés à un homme comme René Lévesque. Ils peuvent différer d'allégeance, de statut économique ou social, mais ce sont tous des Québécois unis par une chose aussi inanimée que l'asphalte et le ciment. Les nouveaux immigrants sont beaucoup plus proches qu'on le pense des Québécois plus établis.»

La chanson L'immigrant raconte l'histoire d'un Québécois d'origine italienne qui a le mal du pays. Mais quand il y retourne, il se rend compte que ce pays n'est plus le sien.

«C'est une chanson sur le déracinement, explique Ciccone. Je l'ai fait écouter à des amis, des filles et des gars d'un peu partout au Québec qui m'ont dit: «Ça nous touche.» L'immigration ne se vit pas juste d'un pays à l'autre; on a grandi à Québec, à Chicoutimi, en Abitibi, on aime Montréal, mais on vit quand même un dépaysement. On idéalise certains points de repère de notre jeunesse et quand on y retourne, ils ne sont plus là.»

Avec l'âge, Ciccone a perdu un peu de la pudeur qui l'empêchait de s'attaquer aussi directement à certains sujets trop proches de lui. Il a déjà évoqué la Petite Italie dans ses chansons, mais ne lui a jamais consacré une chanson entière comme Piccola Italia.

«Je suis né à deux pâtés de maisons de Parc-Extension, dans le coin le plus pauvre de la Petite Italie, rappelle-t-il. J'ai travaillé toute mon adolescence dans Saint-Michel et Montréal-Nord, des quartiers modestes, pour ne pas dire pauvres. Mes chums ne sont pas des auteurs-compositeurs, ce sont des bums, mais des chums pareil. Moi, j'ai la chance de gagner ma vie avec mes mots. Il y a du monde qui utilise mes chansons pour apprendre le français, une langue dans laquelle je n'étais pas si bon que ça à l'école. C'est pour ça que j'ai appelé le disque Imaginaire; c'est l'outil qui m'a permis d'échapper un peu au monde qui m'attendait.»

Nicola Ciccone reprendra la route à la fin de l'été et fera sa rentrée montréalaise le 13 octobre prochain au Théâtre Maisonneuve.