Hindi Zahra fait de la musique comme elle peint: non pas en mélangeant les couleurs, mais en les superposant, en jouant avec les textures. Marocaine d'origine, Française d'adoption, l'auteure-compositrice-interprète s'avère citoyenne du monde par sa musique. Une musique qu'elle trimballe sur scène depuis plus de 10 ans maintenant, et qu'elle vient tout juste de coucher sur un premier album, Handmade.

Elle se pointe dans les bureaux d'EMI France, ses nombreux bracelets cliquetant joyeusement à son poignet droit, le regard vif, le sourire aux lèvres. Handmade à peine lancé, elle est déjà de tous les plateaux de télé. «Le maquillage, ce n'est pas moi! tient-elle d'ailleurs à préciser en rigolant. J'arrive d'une télé et je ne te dis pas tout ce qu'ils nous mettent sur le visage!»

 

À 30 ans, Hindi Zahra respire un métissage désiré, assumé, libéré. «Il n'y a rien de plus dangereux que d'être fermé, replié sur soi, déclare-t-elle. Nous sommes tous des êtres multiples, voire mutants, alors aussi bien s'ouvrir à cette ère de spectaculaire brassage dans laquelle on vit. Avec ma musique, je rends le concept même de l'identité dépassé, je propose de nouvelles formes de vivre ensemble. Je ne suis pas militante pour autant. Je crée plus poussée par un désir instinctif de rassembler toutes les musiques qui me nourrissent parce que, pour moi, elles viennent d'un même monde à partager.»

Couscous musical

Car les musiques de tous les horizons ont toujours fait partie de sa vie, de par la situation géographique de son Maroc natal.

Sa mère chantait, jouait au théâtre et était «une vraie fan des Beatles». Ses oncles - dont l'un habite à Montréal depuis 30 ans - jouaient de divers instruments, écoutaient du reggae autant que du James Brown. «C'est sans oublier la musique indienne de Bollywood, qui a toujours été très présente au Maroc, les musiques espagnole et touareg. Tu imagines le couscous? Et j'ai mangé tout ça avec mes oreilles!» lance-t-elle.

Hindi Zahra a 16 ans quand elle traverse la Méditerranée pour s'installer en France, dans les années 90. Elle découvre alors le fado portugais et Claude Nougaro, Charles Aznavour, Serge Gainsbourg et Jacques Brel. Elle veut chanter, composer, écrire. Elle commence par l'art lyrique, avant de se réorienter vers le jazz, puis le hip hop. «Mais c'était des carcans, et je ne voulais pas sacrifier un style pour un autre. Je voulais tout mettre ensemble, pas en mode fusion, mais vraiment en mode peinture», fait-elle valoir.

Sur Handmade, les guitares manouches donnent donc la réplique aux percussions berbères. Là, le reggae répond au jazz sur une mélodie orientale. «Une fois que j'ai ma base, j'ajoute les couches, une à une, progressivement», explique-t-elle, en posant une main sur l'autre, pour bien rendre l'esprit des couches qui se superposent.

«Ce disque, il a d'ailleurs été fait de façon artisanale. Pour qu'il sonne vrai et pour qu'il me ressemble. J'aime créer de mes mains, toucher à tout, pour en faire des oeuvres qui parlent de moi, mais que les gens peuvent aussi s'approprier par leurs propres imaginaire et sensibilité. Après 10 ans à interpréter certaines de ces pièces devant le public, j'avais aussi besoin et envie de les entendre vivre autrement, sur un album», souligne-t-elle.

Le processus de transfert d'énergie lui a réclamé du temps, celui «qui ne vient pas de l'extérieur, mais bien de l'intérieur de soi». «Pour moi, faire ce disque n'a pas été facile, renchérit-elle. Je ne voulais rien savoir de m'enfermer dans un studio. J'ai trop besoin de lumière pour ça! Je me suis donc isolée dans un grand appartement en bois et en pierres. Ça correspondait au côté organique de ma démarche. J'avais aussi envie de pouvoir faire à manger pour les musiciens, de pouvoir coucher sur place et me lever en pleine nuit pour enregistrer mes voix, au besoin.»

Hindi Zahra avait besoin de créer son disque avec la même liberté qu'elle a toujours ressentie sur scène.

À chaque langue sa couleur

Pour peu qu'on s'étonne qu'elle chante principalement en anglais et deux pièces dans la langue de ses ancêtres touaregs, elle rétorque: «Le français, au Maroc, c'était la langue de l'administration. Elle n'avait rien de chantant, à mes oreilles, avant que je n'arrive en France et que je découvre Gainsbourg, par exemple. À la maison, quand j'étais petite, le groove, le rythme, ça passait beaucoup plus par l'anglais et les dialectes berbères», raconte Hindi Zahra.

À défaut d'en faire des chansons, l'auteure joue néanmoins du français pour écrire des poèmes. «Chaque langue me permet de répartir les sujets: l'anglais me permet d'être plus personnelle, le berbère, de travailler les métaphores, et le français, de me faire plus onirique. L'une n'a rien enlevé à l'autre. Elles s'ajoutent les unes aux autres et me permettent de voir, de percevoir les choses différemment, selon la langue que j'utilise.»

Dans sa tête et son âme d'artiste, chacune des langues qu'elle parle correspond à une couleur de sa palette de peintre. Le berbère? «Rouge, pour la terre», répond-elle du tac au tac. L'anglais? «Bleu.» Et le français? «Blanc.»

Elle s'arrête quelques instants, le temps de réaliser qu'elle vient de nommer, inconsciemment, les couleurs du drapeau français. «C'est drôle, non? lance-t-elle, les yeux pétillants. En même temps, c'est tout moi!»

POP WORLD

HINDI ZAHRA

HANDMADE

BLUE NOTE / EMI