L'Opéra de Montréal vit présentement sa 30e saison et marque ces 30 ans ce soir même, 30 janvier, en reprenant - dans une toute nouvelle production, bien sûr - l'oeuvre qui avait été choisie pour ses débuts: Tosca, de Puccini.

Soirée inoubliable que celle du mardi 7 octobre 1980: Nicole Lorange dans le rôle-titre, Jean Gascon à la mise en scène dans des décors et costumes de Robert Prévost, Charles Dutoit dans la fosse avec l'OSM et le ministre des Finances Jacques Parizeau aux premières loges avec sa femme Alice.

 

En y incluant la programmation de la présente saison, la liste d'ouvrages montés par l'Opéra de Montréal en 30 ans est impressionnante: 90 (ou trois fois 30, pour les amateurs de numérologie).

Trois, c'est aussi le nombre d'opéras montés le plus souvent: Tosca, Madama Butterfly et La Traviata, présentés six fois chacun.

Deux opéras, La Bohème et Il Barbiere di Siviglia, reçurent cinq productions et six opéras en reçurent quatre: Aida, Rigoletto, Lucia di Lammermoor, I Pagliacci, Carmen et Die Zauberflöte. Par contre, 43 opéras ne furent montés qu'une fois.

On voit que le répertoire italien domine, avec 42 ouvrages. Chose assez normale, le goût de notre public penchant de ce côté-là: Verdi, Puccini, Rossini, Donizetti, Bellini, les véristes aussi, comme Leoncavallo, Mascagni, Giordano, Cilèa. Mais n'oublions pas que cette langue, la plus chantante qui soit, englobe aussi certains Handel et Mozart donnés à l'OdM.

Quoi qu'on dise, le répertoire français n'y est pas en reste. Avec la rare Cendrillon de Massenet annoncée pour mai, l'OdM aura monté 24 ouvrages en français, principalement, cela va de soi, des opéras comme Carmen, Faust, Manon, Pelléas et Mélisande, Lakmé, Thaïs, Samson et Dalila, Dialogues des Carmélites et Les Contes d'Hoffmann, l'«opéra fantastique» d'Offenbach dont on vit aussi quelques opérettes comme La Vie parisienne.

Un peu plus négligé, le répertoire allemand fut quand même bien représenté, notamment par trois Wagner, Tristan und Isolde, Der fliegende Holländer et, en version concert, Das Rheingold, et trois Richard Strauss, Der Rosenkavalier, Salome et Ariadne auf Naxos - soit 11 opéras au total.

Le répertoire de l'OdM comprend même six ouvrages en anglais, dont Peter Grimes, de Britten, et The Consul, de Menotti, deux Janacek (donc en tchèque), un Tchaïkovsky (en russe) et un Bartok (en hongrois).

On doit aussi à l'OdM deux créations: Nelligan, d'André Gagnon et Michel Tremblay, et la version française de Thérèse Raquin, de l'Américain Tobias Picker, conjuguée à la double création en anglais à Dallas et San Diego.

Au total, l'Opéra de Montréal aura donné, en 30 ans, 907 représentations de 156 spectacles différents.

Les Trois Ténors de l'OdM

Le budget annuel de l'Opéra de Montréal est de huit millions, ce qui le place automatiquement parmi les 15 plus importantes maisons d'opéra d'Amérique du Nord, où l'on compte une centaine de compagnies professionnelles.

En 30 ans, l'organisme fut néanmoins tenaillé à quelques reprises par de graves problèmes financiers. Ainsi, en 2003, on commença à réduire le nombre de productions de six à cinq puis de cinq à quatre, par saison. On faisait face à un déficit de deux millions. Il fallut congédier la moitié du personnel de bureau. On parlait même de faillite.

Et, tout à coup, miracle. L'Opéra de Montréal était sauvé. À l'été 2006, l'homme d'affaires Alexandre Taillefer, nommé président du conseil d'administration, et Pierre Dufour, directeur de production promu à la direction générale, obtinrent des trois conseils des arts les deux millions qui permirent de réduire le déficit à zéro, en 18 mois.

En avril 2007, ils s'adjoignirent comme directeur artistique Michel Beaulac, grand passionné d'opéra et attaché à l'OdM depuis 1989 à divers titres.

Taillefer, Dufour, Beaulac. Ce sont les Trois Ténors de l'Opéra de Montréal. Enfin, on y chante au même diapason! Pour l'instant, c'est le beau fixe. «Nous avons eu un surplus de 25 000$ il y a quelques années, rappelle Pierre Vachon, le directeur des communications et du marketing. Là, il n'y a pas de surplus... mais il n'y a pas de déficit non plus.»

Le règne Uzan: presque un opéra en soi!

En 30 ans d'existence, l'Opéra de Montréal a vu se succéder plusieurs patrons au poste de directeur général et plusieurs autres à celui de directeur artistique. Mais un seul réussit à coiffer les deux chapeaux: Bernard Uzan, assurément le plus coloré et le plus controversé de tous. En fait, le règne d'une bonne douzaine d'années de cet ancien acteur pourrait faire le sujet d'un opéra!

Le premier directeur artistique, Jean-Paul Jeannotte, avait engagé Bernard Uzan, alors un parfait inconnu, comme metteur en scène de Roméo et Juliette de Gounod, présenté en 1986, et dans lequel sa femme Diana Soviero chantait Juliette. L'invité ne tarda pas à s'imposer. Il devint directeur général en 1988 et vit son titre agrandi en celui de directeur général et artistique l'année suivante, lorsque Jeannotte prit sa retraite. En plus de diriger la maison, l'homme s'engageait lui-même comme metteur en scène, mettait la main aux décors et confiait les premiers rôles à sa femme.

Diana Soviero étant une grande artiste, sa présence était généralement justifiée. Malgré quelques réussites comme Salome et The Consul, les mises en scène du mari appelaient davantage de réserves, tout comme certains de ses engagements de chanteurs et de chefs d'orchestre. André Bourbeau monta sur lui un dossier accablant, commenté par Nathalie Petrowski sous le titre «L'opéra-bouffe de Bernard Uzan», et il quitta les lieux à la fin de 2001.

Ceux qui lui succédèrent, à l'un et l'autre postes, ne firent pas long feu. Kimberley Gaynor puis David Moss, à la direction générale, passèrent inaperçus. Quant à Bernard Labadie, il vit ses programmations modifiées ou réduites et quitta l'OdM après quatre ans comme directeur artistique. Mais l'OdM n'allait pas mourir pour autant.

Le meilleur et le pire

Les productions de l'Opéra de Montréal qui furent mémorables sur tous les plans - vocal, dramatique, visuel et orchestral - sont heureusement plus nombreuses que les échecs.

Le spectacle dont je conserve le plus beau souvenir est le Rosenkavalier de 1991. La réussite est d'autant plus remarquable que le plus célèbre opéra de Richard Strauss est une oeuvre très exigeante. Mechthild Gessendorf était la Maréchale, dans une mise en scène de Bliss Hebert et sous la direction musicale d'Alexander Sander.

Le plus beau four de ces 30 années remonte à 1987: c'est l'Otello de Verdi gauchement mis en scène par Antoine Vitez, livré à des voix médiocres - dont celle d'un certain Maurice Stern - et copieusement hué par l'auditoire, chose très rare dans cette maison.

L'OdM dans la rue

La volonté de mettre l'art lyrique à la portée de tous se manifeste de diverses façons à l'OdM. Depuis cinq ans, le spectacle de fin de saison, qui correspond au retour du beau temps, est projeté sur écran géant, gratuitement, sur l'esplanade de la Place des Arts, en même temps qu'il est présenté à l'intérieur. C'est ainsi qu'une moyenne de 12 000 personnes, chaque fois, a vu Carmen en 2005, Aida en 2006, Madama Butterfly en 2008 et Lucia di Lammermoor en 2009.

Par ailleurs, des chanteurs de l'Atelier lyrique de l'OdM donnent chaque saison, dans quelques stations de métro, 20 petits concerts composés d'airs tirés de l'opéra à l'affiche à ce moment-là.