Auteur, compositeur, interprète, mais aussi peintre, écrivain, poète et porte-parole officieux des délaissés, l'artiste français Mano Solo est décédé hier matin à Paris, à l'âge de 46 ans. Il était aux soins intensifs depuis son dernier concert à l'Olympia, le 12 novembre dernier. Atteint du sida depuis presque 25 ans, le chanteur à la voix intense, aux chevrotements distinctifs et aux textes percutants aurait succombé des suites de plusieurs anévrismes.

C'est sa mère, Isabelle Monin, journaliste et écologiste de la première heure, qui a livré hier la nouvelle aux fans de Mano Solo, sur le babillard du site manosolo.net. «Il ne viendra plus. Il ne viendra plus nous invectiver. Il ne viendra plus nous encourager. Il ne viendra plus nous donner tout ce qu'il avait: son talent, sa forme, son élan, sa générosité», a-t-elle écrit.

Fils de militants - son père, Cabu, est un dessinateur et caricaturiste engagé -, Mano Solo choisit tôt la vie de galère, abandonnant l'école à 15 ans, plongeant dans le punk dès l'adolescence. Guitariste pour le groupe Les Chihuahuas, puis pour le groupe La Marmaille nue (aussi titre de son premier album et nom de sa maison d'édition), Mano Solo dessine également et expose ses toiles.

En 1993 paraît l'album La Marmaille nue. Le succès est immédiat. Le personnage est frêle, mais sa rage intérieure en impose. Ses textes traitent d'injustice sociale, de misère et d'espoir, de drogue (Au creux de ton bras) et de sa maladie, le sida, qu'il contracte en 1986 et dont il parle sans tabou, sur scène comme en entrevue.

Son oeuvre reste collée à la grande tradition de la chanson française classique, mais son énergie, ses interprétations, sont radicalement, furieusement punk. Ses arrangements portent des traces de musique d'Afrique, de tango aussi, style musical qui ennoblit cette douleur au coeur des compositions de Mano Solo.

Son deuxième album, Les Années sombres, paraît en 1995. Disque tout aussi tragique que le premier, il confirme le talent, d'auteur et d'interprète, de Mano Solo. Le succès est encore plus important qu'en 1993. Sur la scène du Bataclan, en octobre 1995, il déclare: «J'ai deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La bonne, c'est que je ne suis plus séropositif. La mauvaise, c'est que j'ai le sida!»

Les FrancoFolies de Montréal, qui l'avaient accueilli en 1994, le réinvitent en 1996. La maladie l'affecte; les joues creuses, les cheveux en brosse, il est contraint de donner son concert au Spectrum assis sur un tabouret, une canne à ses côtés. L'accueil du public québécois est délirant. À la même époque, il publie un recueil de poèmes (Je suis là) et un roman (Joseph sous la pluie).

Mano Solo reviendra une troisième et dernière fois au Québec en 2000, toujours à l'invitation des FrancoFolies, pour promouvoir l'album Dehors, considéré par plusieurs comme le plus abouti de sa discographie. Sur scène, il a meilleure mine, la trithérapie qu'il suit lui réussit. À La Presse, il confie: «Je suis un personnage beaucoup moins noir que ce qui transpire de mes disques. Je n'ai jamais été désespéré. On ne peut se battre quand on est désespéré. C'est toujours les autres qui me voient désespéré. Moi, je suis plein d'espoir.»

Depuis cette dernière visite, Mano Solo fut presque oublié de ce côté-ci de l'Atlantique, mais il poursuivait en France sa carrière musicale et ses combats. Ses disques des années 2000 seront plus sereins, moins obnubilés par la mort et sa maladie, et musicalement plus diversifiés.

Plus sereins, mais toujours aussi engagés: dans sa vie musicale et publique, il s'est battu pendant une décennie, contre la maladie, d'abord, mais pour les autres, aussi. Il s'implique dans une collecte de fonds pour venir en aide aux Malgaches, et anime, dès 2007, une émission de radio, Le Clou de la soirée (sur Aligre FM 93,1), durant laquelle il «donne la parole à ceux qui ne l'ont pas».

Le legs de Mano Solo à ses fans est constitué de sept albums solo (trois d'entre eux ont été certifiés disque d'or en France), deux albums live et un disque enregistré avec les Chihuahuas, Frères Misère (1996). Son plus récent album, Rentrer au port, est paru en septembre dernier.