Alex Jones, Alexandre Carrier de son vrai nom, vit en ce moment une sorte de renaissance. Membre fondateur de WD-40, un groupe punk métissé de country et de hard rock, Alex, qui a joué de malchance pendant 13 ans, voit enfin la lumière au bout du tunnel grâce au DVD Né pour être sauvage. Le film suit Alex et son frère dans la tragicomédie universelle d'un groupe rock qui tente de percer et qui, malgré son talent, va d'échec en échec.

Quand Alex Jones, le fils aîné d'Anne Jones et de Richard Carrier, est né, il n'avait ni le sens des affaires ni le sens du timing. En revanche, il avait déjà une sacrée grande gueule et une candeur à toute épreuve. Trente-six ans plus tard, il n'a pas perdu sa grande gueule ni son authenticité.

 

Voilà un homme qui n'a jamais eu peur de dire ce qu'il pensait. En fait, la peur n'a strictement rien à voir dans l'histoire. Alex Jones est tout simplement incapable de ne pas dire ce qu'il pense. C'est plus fort que lui. L'autocensure, connaît pas. Vraiment pas.

«Je crois que c'est à cause de ma mère, m'explique Alex Jones, posé comme un oeuf sur un pouf dans un café. Je me souviens encore du matin où elle s'est amenée toute nue dans la cuisine. J'avais 4 ans. En entendant le clic de l'appareil de mon père qui venait de la prendre en photo toute nue, elle s'est retournée et elle a crié: «Richard, combien de fois je t'ai dit de ne pas prendre mon portrait avec mes lunettes!» Ça, c'est ma mère tout crachée!»

J'ai appelé Alex Jones peu de temps après avoir regardé le DVD Né pour être sauvage, l'histoire trouble de WD-40, un documentaire fascinant et décapant de Pierre-Alexandre Bouchard lancé à la fin novembre et qui devrait être offert en cadeau à tous les ados qui rêvent de devenir des rock stars.

En glissant le DVD dans le lecteur, je n'avais pas le début d'une idée de qui était Alex Jones ni de ce qu'il mangeait pour déjeuner. Quant au groupe au nom de lubrifiant qu'il a fondé avec son frère Étienne Carrier, alias Jean Loup Lebrun, à Chicoutimi en 1994, je n'avais jamais entendu parler de lui en 15 ans.

Conneries et qualités

Réalisé par Pierre-Alexandre Bouchard, lui-même musicien dans le groupe El Motor, ce film constitué d'archives de WD-40 comme de tournages récents raconte aussi bien l'histoire du groupe que celle de tous les petits rockers qui ont rêvé d'être des stars et qui ont fini chômeurs, junkies ou vendeurs d'assurances. Et puis à mesure que cette histoire d'échec se déploie sur le DVD, une autre histoire s'impose: celle d'Alex Jones, né de l'union entre une artiste libre et un gérant de Canadian Tire, fils de Chicoutimi qui fréquentait le même collège que Mario Dumont et qui, par la magie du cinéma, devient un personnage plus grand que nature, à la fois drôle et désarmant.

Décrire le charme d'Alex Jones n'est pas une mince tâche, d'autant plus que voilà un type qui n'a jamais hésité à baisser son pantalon sur scène, qui s'est défoncé à l'héro pendant plusieurs années et dont la poésie trash nous a valu quelques perles comme»Je pense à toi quand je me crosse ma belle grande squaw d'Amos», ou encore «Chérie, tu fourres mieux quand t'es stone», ou le classique «J'me brasse la poche», chanson hommage à Jim Morrison.

Non, Alex Jones n'est pas toujours évident à suivre. Mais s'il est facile de dresser la liste de ses conneries, il est aussi facile d'énumérer ses qualités. Son éloquence, étonnante pour un type capable d'une grande vulgarité. Sa volubilité, son romantisme (au sens où l'on entendait au XIXe siècle), son goût de l'aventure qui l'a maintes fois poussé de l'autre côté du miroir, une certaine pureté, une opiniâtreté intarissable, une saine autodérision, une absence totale de prétention, l'authenticité et une grande sensibilité qui lui a aussi fait écrire de très beaux textes criblés d'asphalte froid, de ciel gris et de gros camions qui vont mourir au bout de l'horizon.

Un frère à convaincre

J'avais à peine terminé le documentaire sur WD-40 que je n'avais plus qu'une idée en tête: rencontrer Alex Jones.

Je lui ai donné rendez-vous à 11h et à 11h tapantes, Alex Jones s'est pointé à la réception de La Presse, un brin timide sous son casque de fourrure. Il arrivait de Saint-Hubert où il vit avec sa blonde et leurs deux petites: Mia, 18 mois, et Mélodie, 3 semaines.

Pour gagner sa vie, Jones est technicien aux décors en cinéma. Il a travaillé entre autres sur Polytechnique et The Punisher. Reste que si on a vu Né pour être sauvage, on sait que ce qui l'allume vraiment, c'est de s'éclater sur scène. On sait aussi qu'à la fin du tournage, non seulement WD-40 agonisait, mais les deux frères Carrier ne se parlaient plus. Qu'en est-il aujourd'hui? «Tant qu'on n'est pas officiellement morts, on est vivants, répond Alex. Moi, c'est clair que je veux que ça continue et si j'arrive à convaincre mon frère de faire une tournée d'adieu, on va être vivants encore un boutte. Sinon, je vais faire mes shows tout seul avec mon Daddy Mojo (une guitare faite main à Montréal avec des boîtes de cigares).»

Étienne, le frère en question, vit à Longueuil avec sa blonde criminologue. Jusqu'à tout récemment, il ne voulait plus rien savoir de WD-40. Mais l'effervescence générée par la sortie du documentaire a un peu bousculé les choses. Peut-être va-t-il se laisser convaincre.

Il y a une quinzaine d'années, lorsque WD-40 est né, la musique québécoise ne déménageait pas beaucoup. Hormis Leloup et les Colocs, c'était le calme plat. Avec son esprit punk et échevelé, WD-40 aurait pu aisément devenir le groupe phare d'une nouvelle génération. Mais il est arrivé au mauvais moment, à une époque floue où les producteurs se demandaient quelle direction prendre. Et puis, subitement, sont apparus à l'horizon Les Cowboys fringants, indiquant la nouvelle voie à suivre. La porte qui s'était entrouverte pour WD-40 s'est refermée. Temporairement du moins.

Le démon de l'héro

C'est ici qu'entre en scène ce qu'Alex Jones appelle le démon de l'héro. Par curiosité, par bravade et parce qu'un soupçon d'autodestruction coule dans ses veines, Alex Jones a essayé un soir de l'héroïne. «Au début, tu ne te méfies pas. T'es romantique, exalté. Tu te dis qu'avant toi, Iggy Pop, Lou Reed, Keith Richards ont fait de l'héro, que c'est cool et bon pour l'inspiration. Au début, c'est vrai que c'est inspirant, mais très vite il n'y a plus rien qui sort. Tu ne penses plus à rien sinon à ta prochaine dose. T'es piégé et fait comme un rat. J'ai tout perdu à cause de l'héro: ma blonde, mon camion, mes amis, mon logement. Un jour, j'ai touché le fond et j'ai compris que ça suffisait.»

Accepté dans un programme de méthadone après plusieurs cures de désintox, Alex Jones a fini par échapper aux griffes de la dame blanche. Même s'il en parle ouvertement, la plaie demeure vive. Qu'à cela ne tienne, Alex Jones n'est pas homme à se morfondre longtemps sur son triste sort. Pas le genre non plus à cuver ses regrets. Quand je lui demande s'il ne trouve pas un brin ironique que le film qui documente ses échecs soit en train de le rendre célèbre, il réplique sans sourciller et avec une réelle ferveur: «Est-ce que tout cela est un échec? Oui, mais non. Non parce qu'on a des fans incroyables qui nous adorent. Non parce que je connais des dizaines de groupes qui ne sont jamais sortis de leur garage. Nous, on en est sortis. Non parce qu'au lieu de me dire que ça aurait pu être mieux, j'ai tendance à croire que ça aurait pu être tellement pire.»

Je ne connais pas beaucoup Alex Jones, mais si j'étais sa mère, je dirais que cette dernière phrase, c'est du Alex Jones tout craché.