Noël dernier, Mathieu a offert un iPod à sa fille de 7 ans. Avant de le lui donner, il avait chargé le lecteur avec du Chopin, une chanson d'Amélie Poulain et un remix techno du groupe Royksupp. Évidemment, toutes ces chansons venaient de sa discothèque personnelle.

A-t-il pensé lui mettre de la musique pour enfants? «Pas vraiment lance le papa, qui est aussi DJ professionnel. Même Hannah Montana. J'étais complètement contre... »

Égoïste? Peut-être bien.

Mais il n'est pas le seul.

De plus en plus de parents, catastrophés par la musique pour enfants offerte sur le marché, ont décidé de prendre en charge l'éducation musicale de leur progéniture. Dans les chaumières, Caillou, Annie Brocoli et Savez-vous planter des choux ont été chassés par Kiss, Black Sabbath, les Beatles, Malajube ou DJ Champion.

Certains parents, encore plus radicaux, sont même allés jusqu'à bannir la musique pour enfants de leur foyer, la jugeant trop cucul et par là, tout à fait dispensable. Au diable, les comptines, vive le rock!

Est-ce trop extrémiste? Utile? Égocentrique? Tout dépend de la façon...

Une arme culturelle

«Il est normal que passé un certain âge, les enfants soient mûrs pour autre chose que le Pablum préscolaire qu'ils avaient l'habitude de se faire servir. Que les parents en profitent pour transmettre leurs propres goûts est un réflexe naturel. Ils veulent partager leurs valeurs, c'est tout à compréhensible», explique Don MacMannis, auteur-compositeur et psychologue à l'Institut de thérapie familale de Santa Barbara en Californie.

Mais encore faut-il user de discernement, ajoute ce spécialiste de la question. Des musiques trop agressives, ou des paroles-ne-pouvant-convenir-à-de-jeunes-enfants pourraient avoir un aussi mauvais effet que des scènes d'horreur aux nouvelles de 22h. «C'est comme la fumée secondaire ou les mauvais choix alimentaires. Il faut chercher à leur donner ce qui est bon pour eux, précise M. MacMannis. Ainsi, il est scientifiquement démontré que les musiques joyeuses ont un meilleur effet sur leur cerveau que les musiques sombres.»

Où tracer la ligne? Bonne question. Car «ce qui est bon» dépend de chacun. Mais dans l'absolu, il est clair que ce partage a du bon, puisqu'il crée un pont entre les générations et accentue la complicité parent-enfant, dans un cadre d'expression artistique.

Mère d'un petit garçon de 7 ans, Catherine Boivin va plus loin. Orienter les goûts musicaux de son enfant est ni plus ni moins une façon d'élargir ses horizons afin de l'armer culturellement.

«Il y a quand même beaucoup de couches à assimiler dans la musique pop, explique-t-elle. Alors il faut commencer tôt. L'autre jour, par exemple, je lui ai fait écouter du Elvis. C'est le genre d'artiste qu'il faut connaître pour avoir des référents culturels. C'est pour lui donner une vision panoramique de la culture populaire. Je veux dire, Elvis est cité partout. Même dans les films de Walt Disney. Regarde Lilo et Stitch. À la limite, je m'en fous qu'il aime ou non. L'important, c'est qu'il soit capable de reconnaître.»

Éduquer, pas opprimer

Bon d'accord. Mais faut-il pour autant bannir la musique pour enfants, comme le font certains parents? Michel Lemay, pédo-psychiatre à l'hôpital Sainte-Justine, met les parents en garde. Car s'ils sont naturellement enclins à vouloir transmettre leurs goûts, il est vital que cela se fasse dans un esprit d'échange et de dialogue.

«Oui, il y a une éducation à faire, résume-t-il. Mais quand on a le goût de dominer l'enfant et d'en faire un peu sa chose, ça devient embêtant. On ne construit pas un enfant, on lui donne des éléments pour se construire. De toute façon, ça ne sert à rien de lui dire que sa musique est affreuse. Mieux vaut au contraire s'y intéresser. Cela permet de mieux le connaître.»

Même son de cloche chez Lisa Roth, responsable de la collection de disques Rockabye Baby, qui se spécialise dans les versions enfantines de classiques du rock: «Si on bannit une forme d'expression de son foyer, c'est un extrême. Et c'est dangereux. Parce qu'en bout de piste, cela mènera peut-être l'enfant à un comportement et une rébellion extrêmes....»

Au fond, tout est question de dosage. Le parent propose, l'enfant dispose... et assimile.

Mais il est clair que l'influence des parents a aussi ses limites. Tôt ou tard, au contact des amis d'école, d'une grande cousine ou de la petite voisine, vos enfants reviendront à la maison avec des musiques que vous auriez sans doute préféré ne jamais entendre sur votre chaîne stéréo!

«Quoi qu'on fasse, ils finiront toujours par écouter des trucs de Disney comme Hannah Montana et Camp Rock, conclut Mathieu Corbeil, en admettant avoir un peu lâché prise. Au fond, c'est correct. Ne serait-ce que pour leur permettre d'avoir des relations sociales et de s'identifier à des groupes d'amis qui ont ces références culturelles-là.

«Au bout du compte, j'ai fini par laisser mes enfants aller dans leur trip. Hannah Montana, je me suis rendu compte que ce n'était pas si pire. J'ai même acheté le DVD de Camp rock, pour leur laisser le plaisir de chanter... Raison de plus pour leur faire connaître d'autres choses. Parce que sinon, ils peuvent s'embarquer dans le moule d'écouter du quétaine. Et ça, il ne faudrait surtout pas! »