Quelques mois avant la sortie de leur troisième disque, les Breastfeeders célèbrent mardi soir leur 10e anniversaire avec un concert spécial au Lion d'or. Survol d'une décennie.

«J'ai l'âge de Peter Pan», lance Luc Brien en refrénant un sourire. Assis au fond de L'Escogriffe avec une frange noir goudron qui voile son regard, une cigarette roulée au bec et un cocktail jaune à la main, le chanteur-guitariste des Breastfeeders a des allures de dandy.

Il revient tout juste du Théâtre d'Aujourd'hui, où il travaille à temps partiel. «Je préfère ne pas trop parler de mon autre job, dit-il. Il y a des périodes où je pourrais vivre seulement des Breastfeeders. Mais avec la chute des ventes de disques, il faut se fier aux tournées. Et comme on ne tourne pas toujours, ça ne suffit pas, alors...»

Ça fait déjà trop longtemps que Montréal n'a pas encaissé quelques raclées de leur redoutable rock. Ce n'est pas que la bande hibernait. Elle a passé une bonne partie de l'année 2008 à tourner aux États-Unis et en Europe. Puis il y a eu une pause. «On avait besoin de débarquer du truck, de passer un peu de temps chez nous, explique-t-il. Il fallait décanter tout ça avant de retourner en studio. Sinon, on risquait de faire un part II du dernier disque.»

Le prochain, qui devrait paraître au printemps, s'annonce un peu différent. «Les dernières tounes ne respiraient pas assez, on entend parfois mal les nuances dans les guitares et la voix. Le nouveau devrait être un peu plus aéré, et dansant aussi.»

On présume que les textes (qu'il cosigne avec Johnny Maldoror) seront insufflés du même imaginaire rock'n'roll. Cette façon de garder la tête haute et froide devant les vicissitudes de la vie, et de les décrire avec plus de moquerie que de sensiblerie, le tout avec une chic désinvolture et sans fioritures. «Ah oui, sans fioritures? se surprend Brien. Merci de ne pas en voir, mais je trouve qu'il en reste un peu. Sinon, oui, c'est vrai, il y a toujours l'idée: la vie est d'même, que vas-tu faire. J'ai un petit côté nietzschéen, je refuse d'aimer la vie seulement pour ce qu'elle pourrait être.»

Scandale, l'accident

S'il faut trouver un lieu à la naissance des Breastfeeders, ce serait un triplex à l'intersection des avenues Duluth et Chateaubriand. Brien, alors étudiant en littérature, commence à jouer de la musique avec Joe, son voisin d'en haut. «Si on crée, ça devrait être pour dire quelque chose qui n'a pas encore été dit. Pas pour se joindre à un mouvement. Et à l'époque, il y avait très peu de rock de mon goût sur la scène locale «, se souvient-il.

Brien compose alors Scandale, rock sixties inspiré des Sextants, sur un gars qui perd ses pantalons sur un plancher de danse. Joe l'enregistre et y ajoute guitare, basse et batterie. Des voisins complètent le tout avec de l'harmonica. La bande était formée, avec Sunny Duval (guitare), Johnny Ma ldoror (tambourine), Suzie McLeLove (guitare-voix) et Kiki Boone (ancien batteur).

Le simple se hisse en deuxième position du palmarès de CISM. Après deux répétitions, les Breastfeeders jouent leur premier concert aux Bobards, le 8 décembre 1999. C'est aussi la première fois que Brien chante dans un micro. «Après le show, un gars est venu me dire: «Je pense que vos affaires vont bien aller.» Mes affaires? Je ne comprenais pas. Dans ma tête de littéraire, on commence à t'estimer après 30 ans de travail «, raconte celui qui avait alors publié des poèmes et des essais littéraires sur Burroughs et Gauvreau dans des revues confidentielles.

On connaît la suite. Jouissif comme un coup de pied qui ramène à la vie, leur rock leur vaut un succès d'estime ici et ailleurs. Critiques positives dans NME, Les Inrockuptibles et le Village Voice, qui les a même comparés à une version demolition derby de Sonny et Cher.

«Il y a eu tellement de beaux moments, se souvient Brien. Jouer devant les juifs hassidiques et polonais à la Saint- Jean, avenue Saint-Viateur, passer du temps en coulisses avec les New York Dolls, côtoyer les gars des Wampas à Paris ou survoler le désert du Nevada pour aller donner un show. Je n'aurais jamais pensé faire cela, même si ça paraît normal aujourd'hui. On est rendus riches en capital symbolique, on est millionnaires.»

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Spectacle 10e anniversaire des Breastfeeders, mardi à 21h au Lion d'or.