Ils remplissent le Zénith de Paris et séduisent en France plus de 30 000 spectateurs en deux semaines. Dans l'ignorance des médias classiques.

Ils ont pour la plupart entre 20 et 35 ans. Ils ne sont ni des enfants gâtés des beaux quartiers ni des rebelles des banlieues sinistrées. Ils sont étudiants ou enseignants en début de carrière, ou jeunes cadres moyens. La plupart d'entre eux ont vécu un certain temps au Québec, y sont allés plusieurs fois en vacances et se racontent leurs souvenirs. Certains rêvent d'y émigrer. Quelques-uns arborent un tee-shirt sur lequel on peut lire: Les Cousins fringants. Ou un chandail du Canadien de Montréal. On aperçoit même ici et là un drapeau du Québec.

Ces gens, qui sont jeunes en immense majorité, et qui sont au nombre de 6000 à 7000, dans les gradins ou massés sur la piste centrale du Zénith de la porte de la Villette à Paris, constituent le public des Cowboys fringants. Signe distinctif: ils connaissent par coeur la plupart des morceaux du groupe, et ovationnent les musiques les plus rythmées qu'ils accompagnent en sautant sur place ou en battant des mains. Chez eux, la cause écologiste fait consensus, et ils applaudissent à tout rompre lorsque le chanteur Karl Tremblay leur confirme que pour chaque billet vendu au Zénith ce mercredi soir, un arbre sera replanté en Indonésie. Sept mille arbres en l'occurrence: «Vous êtes une forêt», lance-t-il. Délire dans la salle.

Un public un peu mystérieux, en tout cas inusité, à moins qu'il ne s'agisse du public standard de la nouvelle époque internet. Car voici le constat: le quatuor des Cowboys fringants a été et demeure pratiquement absent des médias traditionnels.

Bien sûr, ils ont un papier dans Ouest-France lorsqu'ils vont en Bretagne et remplissent une salle de 5000 spectateurs. Mais le fait est qu'entre le 14 et le 16 novembre, ils auront rempli les plus grandes salles disponibles dans sept salles françaises sans que jamais les chaînes de télé nationale ne s'intéressent à eux. Pas plus que la presse nationale, qu'elle soit quotidienne ou hebdomadaire. En deux semaines, les Cowboys auront attiré plus de 30 000 spectateurs sans avoir le moindre papier dans Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur ou Les Inrockuptibles. C'est tout juste si Télérama - hebdo culturel influent - a signalé leur présence en une dizaine de lignes. Les médias classiques les ignorent.

Et inversement, ils sont arrivés sans eux. Même pas un tube qui aurait tourné à la radio. Ou un grand reportage isolé paru dans un journal et qui à l'origine aurait signalé «ce phénomène de société». Du jour au lendemain, les Cowboys ont débarqué à Paris dans les plus grandes salles, sans que personne ait été prévenu. En avril dernier, des centaines de jeunes spectateurs faisaient la queue deux heures avant l'ouverture des portes, juste pour avoir les meilleures places debout devant la scène. D'où venait cette célébrité soudaine? De la planète internet, évidemment. Du site les Cousins fringants, entre autres.

Cela n'explique pas pour autant leur énorme succès en France. L'engagement déclaré en faveur de l'écologie y est pour quelque chose. Les textes - passablement premier degré - vont dans ce sens et relèvent parfois de la manifestation politique. Mais il y a aussi et surtout la musique qui, pour une oreille française, évoque à la fois le folk irlandais, la country américaine, le tout assaisonné d'un rock franc et honnête. Une musique de scène dynamique et entraînante. Et qui atteint son meilleur dans quelques longs solos instrumentaux. Notamment ceux de la bondissante violoniste Marie-Annick Lépine, dont le premier flamboyant solo a été salué par une véritable ovation de la salle. Au-delà des mots, c'est une musique généreuse et festive, au carrefour de divers courants, et loin des modes. Donc introuvable en France.