La mémoire musicale des dernières décennies se situe quelque part entre l'oreille gauche et l'oreille droite de Gregory Charles. Il devrait le démontrer mardi prochain, première d'une longue série de dates de MusicMan, spectacle dont il aimerait devenir le héros. Discussion sur les super pouvoirs de la musique avec celui qui assure ne pas les posséder. Pas encore.

On croyait que Gregory Charles était un artiste omnipotent. Il l'est presque, même s'il sait secrètement qu'un petit quelque chose lui manque encore. Devenir un superhéros. C'est le thème de son nouveau spectacle, où il tente de maîtriser les «super pouvoirs» de la musique, comme le faisaient ses héros, les musicmen.

 

Commençons par le commencement. L'idée du spectacle germe depuis les dernières élections américaines, raconte-t-il au cellulaire, dans sa voiture, en route vers on ne sait où. «Barack Obama disait qu'en grandissant, les seuls modèles noirs disponibles étaient les athlètes et les artistes, explique-t-il. Aretha Franklin, Jackie Robinson et d'autres pionniers l'ont inspiré à devenir qui il est. Ça m'a fait réfléchir à mes propres modèles.»

Ses modèles à lui, c'étaient les musicmen. Dans le lexique personnel de Gregory Charles, le mot désigne un «artiste de feu». Quelqu'un qui brûle la scène en alliant jeu, chant, danse et musique. «Par exemple, John Lennon et Félix Leclerc n'en sont pas. Mais Mick Jagger, Michael Jackson, James Brown, Elton John et Robert Charlebois en sont», explique-t-il.

Son premier contact avec le genre remonte à ses 6 ans, alors qu'il regardait un jeune Noir danser la claquette à une émission de variétés de CBS. «C'était archi quétaine, mais ça me fascinait. À partir de ce moment-là, j'ai commencé à suivre des cours de danse, puis j'ai accompagné la chorale de mon école. J'étais parti.»

Pour lui, les musicmen maîtrisent les «deux super pouvoirs musicaux»: le souvenir et le temps. C'est la capacité de pondre une chanson qui reste gravée dans notre mémoire toute notre vie. Et aussi une chanson qui reste populaire d'une génération à l'autre.

Voilà pour l'idée maîtresse du spectacle. Serge Postigo, co-concepteur et metteur en scène, explique qu'il se divise en trois parties. «Gregory commence en parlant des musicmen auxquels il s'identifiait en grandissant. Ensuite, il nous parle des deux super pouvoirs. Puis, il termine en demandant à la foule de l'aider à devenir lui aussi un musicman. À travers tout cela, il y a une ligne dramatique, ce qui est nouveau.»

Charles tient à chasser toute trace de prétention de sa démarche. «Écoute, je ne m'identifie à aucun de ces géants-là. Comme un Jean-Baptiste, je ne me sens même pas digne de délier les lacets de leurs sandales.»

Entre Diderot et le cover band

Son projet ressemble à une rencontre entre Diderot l'encyclopédiste et un groupe de covers avec un gros budget. Contrairement à Noir et blanc, Charles ne pige pas de chanson du public. Cette fois, c'est une année qu'on lui propose et il doit interpréter les tubes qui l'ont marquée.

Difficile à se préparer? «Pas trop, répond-il. Écoute, je suis un nerd. Je connais le top 40 franco et anglo de toutes les années depuis 1940. Déjà à l'école, j'avais un show de radio où je divisais les chansons selon leur année ou même leur mois de sortie. (...) J'écoute encore aujourd'hui quatre heures de musique par jour, et je m'amuse souvent à écouter mes disques par thème. Par exemple, passer un après-midi avec Brassens, les Beatles et tous les autres artistes qui commencent par B.»

Mais il y a une raison plus profonde pour laquelle il lie les chansons à leur année de création. Selon lui, un tube est un témoin inestimable d'une époque.

«Pour comprendre une époque, le palmarès est aussi efficace qu'un livre d'histoire.» Par exemple, dit-il, God is an American illustre l'ouverture aux États-Unis. I Lost my Baby, La rue principale et Sauvez mon âme témoignent de l'écroulement des valeurs traditionnelles dans les années 90.

«Vous allez me dire que, comme un pasteur avec la Bible, on peut faire dire n'importe quoi aux chansons, anticipe-t-il. C'est vrai. Mais je ne prétends pas faire de la science exacte. Je veux m'amuser avec la musique, c'est tout.»

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MusicMan de Gregory Charles, du 24 novembre au 12 décembre au Théâtre Saint-Denis.