La musique francophone se conjugue au rock, au slam, aux musiques d'Afrique et d'Europe de l'est selon l'affiche du 23e Coup de coeur francophone. Reste que c'est la chanson d'expression plus classique qui est, comme toujours, à l'honneur du festival. L'art de marier, avec justesse de ton et d'émotion, le verbe et la mélodie. En cela, Luc De Larochellière et Jérémie Kisling sont passés maîtres.

Mercredi soir, dans un Cabaret bondé, Luc De Larochellière offrait la première du spectacle de Un toi dans ma tête, album salué par la critique et les fans (déjà plus de 10 000 exemplaires écoulés) pour la tendresse et la tragédie des histoires d'amour qui y sont chantées.

Il faisait bon de revoir De Larochellière offrir à ses fans un premier spectacle de nouveau matériel en huit ans, comme il l'a rappelé au début du spectacle. Sur scène, pianiste, contre-bassiste, percussionniste-violoncelliste, et lui, sur son tabouret, guitare sur le genou, ouvrant cette soirée douce avec Pour ne plus avoir peur, du récent disque.

Elles y sont toutes passées, les 10 chansons de ce Toi dans ma tête. Elles ont donné le ton et battu la mesure de la soirée, aigres et doux rappels des écueils d'une vie d'amour, ici adoucis par les violons du quatuor invité sur presque la moitié des chansons jouées.

Après Rage dedans, un heureux retour en arrière, d'abord avec une version complètement remodelée d'Amère America, le texte mis en évidence par de minimalistes arrangements (un peu gâchés, quand même, par des violons trop appuyés). À Chinatown Blues, juste après, c'est comme si la soirée était déjà gagnée. Le public, lui, buvait chacune de ses paroles.

Orfèvre de la chanson, Luc De Larochellière. Des textes exemplaires, une qualité d'interprétation magnétique, des mélodies fortes, les cordes se fondant généralement bien dans ses compositions.

Tant et si bien qu'on en venait à regretter la présence de certaines chansons, autrefois plus rock, pas toujours dans le ton de la soirée, qui passaient près de troubler l'atmosphère. Après les essentielles Si fragile et Si j'te disais reviens, Marcel n'était clairement pas à sa place. Douce jalousie, une vieille méconnue, nous a ramenés dans la mélancolie. Ma génération, sur un tout autre thème, était néanmoins splendide dans l'ensemble.

Jérémie Kisling

La veille au Lion d'or, Jérémie Kisling a offert une trop rare performance à Montréal. Sauf erreur, la dernière fois, c'était aux Francos, il y a trois ans. La visite n'avait pas échappé à ses fans, assez nombreux pour remplir la belle salle de la rue Ontario - plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs préféré s'en aller avant de pouvoir découvrir les Belges de Suarez... Dommage: bien que moins profond, dans le texte comme dans la forme, le groupe, sur scène, pousse une sacrée belle chanson pop.

Kisling, donc. Le plat principal, en début de soirée. Comme De Larochellière, le Suisse est un habile fabricant de chansons, lui aussi plutôt sensible au spleen et à la mélancolie, se servant toutefois de ses mélodies taciturnes pour aborder une variété de thèmes avec cette admirable plume qu'on lui reconnaissait sur Le Ours, son deuxième disque.

Au menu, les chansons d'Antimatière, son plus récent album, lancé ici par GSI Musique il y a quelques semaines à peine. Seul sur scène, derrière son piano ou sa guitare électrique, Kisling est immanquablement intense, chanson après chanson. Seul son humour pince-sans-rire réussit à désamorcer la tension, parfois nécessaire, après certaines de ses chansons plus graves. Fin mélodiste, précieux auteur-compositeur-interprète, injustement méconnu.