C'est le genre de moment qui n'arrive qu'une fois dans la vie d'un artiste. Bruno Pelletier n'aurait jamais imaginé un accueil triomphal à Moscou, où il mettait les pieds pour la première fois pour deux concerts, hier et jeudi. C'est pourtant ce que ses «Brunettes» russes lui réservaient, après près d'une décennie d'attente.

Depuis sept ans, Bruno Pelletier conservait cette photo venue de loin: des jeunes filles russes devant la célèbre cathédrale Basile-le-Bienheureux sur la place Rouge, tenant une banderole avec l'inscription «Nous croyons pourtant que tu viendras, Bruno», en référence à sa chanson Je crois pourtant. Lui-même n'y croyait pas vraiment. Mais la mobilisation de ses fans, par l'entremise des réseaux sociaux sur l'internet, aura rendu possibles ses concerts d'hier et de jeudi au Théâtre de l'Estrade dans la capitale russe. Le genre de moment qui n'arrive qu'une fois dans la vie d'un artiste.

Le spectacle se passait presque autant sur la scène que dans l'assistance. Elles étaient venues de plus de 65 villes des quatre coins de la Russie, mais aussi d'Ukraine, de Lettonie, du Kazakhstan, de Biélorussie et d'ailleurs. À 95%, des filles et femmes âgées de 18 à 40 ans. 

Entre elles, elles s'appellent «Brunettes». Elles ont pour la plupart découvert Bruno Pelletier avec les comédies musicales Notre-Dame de Paris et Dracula. Mais si elles sont de vraies Brunettes, c'est que leur passion s'étend à la carrière solo du chanteur, qui célèbre cette année ses 25 ans de scène.

Durant des années, en solitaire, elles ont téléchargé illégalement ses chansons sur l'internet. C'était le seul moyen d'obtenir sa musique, qui n'est pas distribuée en Russie, justifie Ekaterina Michon, grande leader des Brunettes sur la Toile. «Maintenant, nous nous sommes entendues avec des fans canadiens pour qu'ils achètent les disques et DVD pour nous et fassent des envois massifs dans différentes villes», explique la fondatrice du site brunopelletier.net, dont le forum réunit 200 membres, ce qui en fait la plus grande plate-forme de discussion non-francophone sur l'artiste.

Parfait inconnu pour le Russe moyen                                                                                                               En Russie, les chansons de Bruno Pelletier ne jouent pas à la radio, contrairement à celles de Garou, Natasha St-Pier ou Lara Fabian. Pour le Russe moyen, c'est un parfait inconnu. Ou au mieux, l'interprète anonyme du Temps des cathédrales. Il doit son passage à Moscou essentiellement à une poignée de fans qui se sont réunies sur l'internet et qui ont su l'utiliser pour se mobiliser.

«Ça fait longtemps que nous nous adressons à des producteurs. Mais malheureusement, la plupart sont très condescendants à l'égard des fans. Ils croient qu'ils savent tout», dit Ekaterina Michon, 29 ans, propriétaire d'un salon de beauté à Moscou avec son mari.

Finalement, à la sortie d'un concert de Garou il y a un an, le producteur Ildar Bakeev a accepté de rencontrer les Brunettes. Il cherchait justement à faire venir d'autres artistes francophones en Russie.

Un processus inédit s'est alors mis en place: si les Brunettes réussissaient à le convaincre de la viabilité du projet, il s'occuperait d'organiser la venue de leur idole.

«J'ai été trois jours sans interruption devant mon ordinateur. À un moment, c'est devenu le sujet le plus discuté sur le Runet (l'internet russe), se souvient Ekaterina. Et c'était en même temps que l'investiture d'Obama!»

Au bout du compte, ses comparses et elle ont réussi à dresser une liste de fans s'engageant informellement à acheter des billets. «Elles avaient même indiqué où elles voudraient être assises et Ildar s'est assuré qu'elles aient ces places exactes avant de mettre les autres billets en vente», précise Ekaterina.

«Gens de Moscou, c'est notre tour...»

Six mois avant les concerts, la moitié des 1300 places du Théâtre de l'Estrade étaient déjà vendues pour les deux soirs. Les Brunettes se sont ensuite affairées bénévolement à distribuer des dépliants dans les cafés et à la sortie des autres concerts francophones de Moscou. Pour l'anniversaire de Bruno Pelletier en août, elles ont même organisé une randonnée à vélo dans la capitale pour faire la promotion du concert.

Mis au parfum de tous ces efforts, Bruno Pelletier a voulu faire sa part, en suivant des leçons de langue russe. «Je l'ai fait par respect pour eux, parce qu'ils en ont eu pour moi», confiait l'artiste avant la première du spectacle jeudi soir. 

 «Tout ce que j'espère, c'est que le message a bien passé que ça ne sera pas un spectacle de Notre-Dame de Paris», ajoutait-il. Une crainte totalement noyée quelques minutes plus tard dans la vague de centaines de petits drapeaux du Québec agités durant le spectacle. Et par le remuement des lèvres de toutes celles qui connaissaient ses chansons par coeur.

Elles étaient bien venues voir Bruno Pelletier. Et en français, s'il vous plaît, lui ont-elles répondu quand il a offert de s'adresser à la foule en anglais, entre ses courtes interventions en russe. C'est que plusieurs Brunettes se sont lancées dans l'apprentissage du français en premier lieu pour comprendre ses chansons.

Le chanteur était visiblement déstabilisé par un public aussi énergique, qui n'a pas hésité à l'interrompre pour entonner «Gens de Moscou, c'est notre tour, de nous laisser parler d'amour/Gens du Québec, c'est votre tour de nous laisser parler d'amour!» répété devant le théâtre avant le spectacle.

Au moment de mettre sous presse, Bruno Pelletier devait encore chercher des pots pour conserver les dizaines et dizaines de bouquets de fleurs qu'il s'est fait offrir entre les chansons, dans la plus pure tradition russe...