Huit ans se sont déjà écoulés depuis le dernier disque studio en français de Kevin Parent, en 2001. Huit ans pendant lesquels il a lancé un album en anglais, une compilation, un disque en spectacle, un DVD live avec ses amis Éric Lapointe et Daniel Boucher, et puis des chansons, ici et là, enregistrées à titre d'interprète sur divers albums-hommage (Le petit roi, de Ferland, L'hymne au printemps, de Leclerc...). Cette semaine, enfin, le Kevin Parent nouveau est lancé. Son titre? Kevin Parent!

«Je la trouve tellement chouette, ta chanson Cachemire, cette façon que t'as de parler à une fille en lui disant qu'elle est à la fois ton amie et ta chienne, le côté plus émotif et le côté plus animal tout mêlés...» Kevin Parent regarde la journaliste, complètement interloqué: «Mais, Marie, c'est vraiment DE ma chienne que je parle, elle s'appelle Cachemire! Je suis pas assez poétique, voyons, pour des affaires de même; je suis très, très premier degré!» Et pendant que la journaliste s'écroule de rire en constatant sa méprise, voilà justement Cachemire, une belle husky labrador qui couve jalousement son maître de son regard bleu banquise...

 

On a déjà vu des débuts d'entrevue plus difficiles. Et des chansons qui portent moins à confusion: «Ben, je le sais, Jean-Pierre (Ferland) m'avait dit que j'aurais dû utiliser plutôt un prénom de fille dans cette chanson-là, et pis Jamil, lui, m'a dit qu'on fait pas une chanson à partir du nom d'une marque de papier Q!» Re-esclaffement. Disons que l'atmosphère est détendue, alors que Cachemire, elle, se tend - zzbinggg - à la vue d'un chat qui passe par là.

Il est vrai que Kevin Parent arrive de la chasse (qu'il pratique à l'arc) et que cela le calme toujours beaucoup, ces heures passées à l'affût, juste pour espérer, puis observer de grands mammifères («On tue pas souvent, c'est de regarder qui est beau»). C'est en songeant justement à l'attention, à la vigilance, qu'il s'est en quelque sorte résolu à faire un album en français: «J'm'ai fait plaisir avec l'album en anglais (Fangless Wolf Facing Winter, en 2007), explique le beau gars de 36 ans, c'est ma langue, c'est facile pour moi. Je suis toujours plus en costume-cravate quand je chante en français - je veux dire que je suis plus en représentation, que ça m'est moins naturel. Pour Fangless Wolf..., j'ai eu le soutien de mes fans, ils sont venus l'acheter et le voir en spectacle, mais je voyais bien que ça leur demandait un effort, qu'ils trippaient plus quand je passais au français, qu'ils étaient plus présents, plus réceptifs à l'histoire - et donc qu'ils m'envoyaient aussi plus d'énergie. Chaque chose a son prix, j'ai donc fait un album en français pour leur faire plaisir et en recevoir!»

Et il a réussi, car ce quatrième album francophone possède une cohésion indéniable, un beau son chaud et rond, gracieuseté des frères Grand, Dominique et Sylvain, dans leur studio Wild Sky de Morin Heights: «Tu trouves que c'est plus cohérent? Oui, c'est comme un pâté chinois, mais bien mélangé - et réchauffé en plus, c'est meilleur (rires). Moi, je trouvais que la plupart de mes rough mix (premières versions) étaient très corrects, mais les frères Grand les ont peaufinées. Moi, je suis plus Bob Dylan et Neil Young - pour l'influence, là, pas pour l'âge! - que Radiohead, mettons. J'aime ça, Radiohead, mais je décroche tout le temps, leur musique et leurs expériences me distraient du sens, on dirait. Moi, ma job, c'est de tenter de faire du sens...»

Les trois têtus

Kevin Parent est connu pour être sérieusement bucké quand il a une idée dans la tête - c'est lui qui avait d'ailleurs réalisé, mixé et tout et tout son Fangless Wolf Facing Winter. Or, les frères Grand, pour vous donner une idée, ont réalisé l'album Me, Myself and I du Pascale Picard Band, composent actuellement la musique d'un nouveau jeu vidéo pour Ubisoft, ont collaboré à Poses de Rufus Wainwright, à l'album Dralion du Cirque du Soleil, ont travaillé avec Bran Van 3000 et Sarah McLachlan... entre autres! Disons que ce ne sont pas exactement de petits faons frêles sur leurs pattes, pour reprendre une image de chasseur.

Alors, comment diable Kevin Parent, plutôt rétif à toute autorité, s'est-il entendu avec Dominique et Sylvain Grand, qui se sont chargés de la réalisation, de pas mal d'instruments et en partie de la direction artistique - avec talent? «J'avoue qu'ils sont têtus en ostie, ces deux-là, reconnaît-il en riant. J'ai bucké... et puis un matin, je me suis dit «D'la marde, laisse aller les choses, fuck la game de pouvoir, sois de bonne humeur et laisse-les travailler!» Et puis, reprend-il, il y avait Denis Wolff (codirecteur artistique de l'album), que j'aime beaucoup et qui est venu me rassurer énormément sur mes textes. Tu comprends, moi, je parle pas de la fonte des glaces et des affaires de même, j'essaie juste de garder la tête au-dessus de l'eau...»

Ses chansons pour garder la tête au-dessus de l'eau ont l'air de bien flotter, en tout cas: quand le premier extrait de l'album, la chanson Besoin d'amour, a été envoyé par internet aux médias, les quatre grands réseaux de radio commerciale l'ont «embarqué sur le palmarès» moins d'une heure après réception - du jamais vu, assure Éric Allain, directeur de promotion de la compagnie de disques tandem.mu (avec qui Parent travaille désormais) et pas un nouveau venu, lui non plus, dans le métier.

Ce départ sur les chapeaux de roues tient peut-être à ce qui a toujours distingué Parent des autres auteurs-compositeurs-interprètes depuis ses débuts, en 1995: ses chansons racontent tout simplement sa vie à lui, pas plus, pas moins. Ses préoccupations sont sensiblement les mêmes qu'il y a 15 ans - avec le regard d'un gars qui a 15 ans de plus, voilà tout. Ça parle donc du monde qui te niaise (Provocateur), de la fille qui te trompe (La petite sirène), de celle qui veut toujours te changer (Prends-moi comme chus), de son coin de pays (Ma Gaspésie - car Kevin a toujours deux maisons, une à Montréal et une à Nouvelle: «J'y vais moins souvent, mais j'y reste plus longtemps»). L'album parle aussi de son pays tout court (Mon pays), de sa génération (Besoin d'amour) et de la prière toute simple, très personnelle, devant l'univers tel qu'il est (Rage de vivre)... Et puis, il y a des chansons pour les proches, ceux et celles qui sont là comme ceux qui sont partis. Sa très délicate chanson Le plus grand des hommes parle justement de son ami Raymond, «un chum de chasse, un chum de hockey, en Gaspésie, explique Kevin Parent. Mais pogné dans la dope et pas capable de s'exprimer, pis qui s'est suicidé, pis c'est ça.» C'est ça. Et c'est devenu une chanson très juste....

Kevin Parent ne sait pas encore s'il l'interprétera en spectacle. Mais il sait qu'en février prochain, il part pour une longue tournée (arrêt au Club Soda les 4 et 20 mars, et le 17 avril), au cours de laquelle il ne souhaite qu'une chose: «Qu'on me prenne comme chus.» Cachemire va l'accompagner...

 

EN UN MOT

En 1995, Kevin Parent a lancé Pigeon d'argile, qui détient encore le record du nombre d'exemplaires vendus pour un premier album d'auteur-compositeur-interprète (plus de 300 000). Le jeune Gaspésien bilingue a poursuivi sa route et, 14 ans plus tard, il lance son cinquième album studio - son quatrième en français -, baptisé simplement Kevin Parent.