De Diamanda Galas à Poirier, d'Os Mutantes à Think About Life, de Fever Ray aux Butthole Surfers, le huitième festival Pop Montréal, qui s'est terminé hier, a enthousiasmé les mélomanes de toutes allégeances: punk, funk, rap, rock, et leurs nombreuses déclinaisons. En musique populaire, l'Action de grâce a lieu une semaine plus tôt à Montréal. Quelle abondance!

Tous les ans, la ville devient folle durant le premier week-end d'octobre. Le festival ne s'agite pas seulement dans les salles de spectacle et les bars (plus d'une cinquantaine de lieux différents). Pop Montréal investit aussi les trottoirs entre deux destinations. Le trafic incessant, jusqu'aux petites heures du matin, de mélomanes qui vont et viennent sur la Main et animent les quartiers comme aux belles soirées chaudes de juillet. Pop Montréal, c'est un peu l'été indien, un coup de soleil en automne pour nous aider à mieux encaisser les prochaines semaines de grisaille.

On a encore les oreilles qui bourdonnent de ce beau mael-ström de diversité musicale fait de concerts mémorables, d'expériences haletantes, parfois décevantes - au National, Os Mutantes était complètement aseptisé, dépouillé de ses oripeaux psychédéliques, servant une fade et pas très juste samba-pop-rock - mais toujours pertinentes.

Pertinence: c'est le mot d'ordre qui commande l'affiche du festival, constituée de presque 400 artistes différents invités à se produire au cours des cinq derniers jours.

Fever Ray

Ainsi, la soirée de jeudi passée auprès de Fever Ray est à inscrire dans les meilleurs coups de l'histoire du festival. Un Métropolis bondé pour entrevoir, sous ses costumes et derrière un rideau de fumée, l'unique Karin Dreijer Andersson, accompagnée de ses musiciens, offrir comme des incantations ses saisissantes compositions et cette sublime reprise de Nick Cave. La grande scène, peu éclairée, était habitée par une bien étrange tribu qui a brillamment rendu le bref répertoire de la musicienne. Un frisson a traversé la salle. À ranger dans la catégorie des moments mémorables.

Au rayon des moments de magie, ceux passés à la Sala Rossa avec le trio garage californien The Oh Sees. Comme le groupe a décidé d'occuper non pas la scène, mais le plancher juste au bout du bar, le hasard nous ayant justement placés à côté du chanteur et guitariste John Dwyer, il était difficile d'être plus près de l'action. Et action il y a eu, sorte de mêlée générale carburant aux gros riffs sales, et tant pis pour nos pauvres orteils écrabouillés dans le mosh pit.

Lee Fields

Puis, il y a ces autres moments qu'on vit par procuration, parce qu'on était ailleurs: un collègue croisé avant le spectacle de Faust (par ailleurs très bon, ravissant même) encore sous le choc d'avoir assisté à la grand-messe soul de Lee Fields&The Expressions, la veille. Eh bien zut, on l'aura manquée. C'est le lot du festivalier aguerri, qu'il se soit ou non muni de l'application iPhone Pop Montréal pour gérer ses trajectoires musicales.

Il faut parfois s'en remettre au destin pour réussir sa soirée Pop Montréal. Au bout d'une heure de chansons, anciennes et nouvelles, de Sufjan Stevens (sûrement le billet de concert le plus convoité de cette année) au Cabaret Juste Pour Rire vendredi dernier, quelqu'un dans la foule s'est évanoui. Trop d'émotions? Stevens et ses musiciens distillaient les ambiances pop aux arrangements léchés et inventifs, de la chanson qui s'abreuve de jazz, de pop classique des années 60, de rock indé frôlant le Flaming Lips/Radiohead. L'incident a freiné leurs ardeurs, on cherchait le médecin dans la salle.

Yo La Tengo

Le moment tout indiqué pour filer en douce en espérant attraper ce qui restait de Yo La Tengo au Club Soda. Fin de spectacle défoulatoire pour une soirée toute en nuances, m'a-t-on confié, la guitare de Ira Kaplan crachant des sons voraces pendant que ses deux comparses couchaient une solide fondation rythmique. Au rappel, un roadie vient prendre la basse de James McNew, qui s'empare d'un tambourine et se pointe au micro pour chanter... Et moi, et moi, et moi de Dutronc!

En guise de party de fin de Pop, un détour tardif à l'Espace Réunion, loft sis dans la petite zone industrielle juste à l'ouest de l'avenue du Parc, à la hauteur de la rue Beaubien. Un truc moche de l'extérieur, et franchement bien aménagé une fois entré. Une ambiance du tonnerre pour ce spectacle, proche du délire, de Think About Life, furieusement dansant.

Entre valeurs sûres et prises de risques, Pop Montréal assure son importance dans le paysage musical de la ville. Le festival a une mission de découverte (et redécouverte) qu'il assume avec soin, même si certains accrocs sur le plan de l'organisation sont à étudier, particulièrement le sempiternel problème de l'accès aux concerts les plus courus pour ceux ayant acheté un passeport pour tous les spectacles.