Jean-Luc Peròn, bassiste et multi-instrumentiste de l'insaisissable Faust qui a permis au monde de découvrir la scène krautrock allemande des années 70, ressasse ses souvenirs de l'époque qui a vu naître Kraftwerk, NEU!, Can, Amon Duul et autres reliques de l'avant-garde rock germanique.

Il n'y a que trois chansons sur le premier disque éponyme de Faust, lancé en 1971. Ce disque était paru en vinyle transparent, assorti d'une pochette en plastique clair sur laquelle était imprimé le rayon X d'un poing fermé - faust, en allemand, signifie poing.

 

Trente-huit ans plus tard, ces trois chansons semblent toujours aussi étranges que ladite pochette. Why Don't You Eat Carrots?, première de la face A, débute par un sourd bruit de distorsion derrière lequel on distingue quelques mesures de Satisfaction des Stones et All You Need is Love des Beatles, avant qu'apparaissent brusquement de jolis accords de piano... et des cris. Miss Fortune, sur la face B, se rapproche peut-être davantage de ce qu'on imagine être le son krautrock, avec son rythme mécanique et ses salves de guitare.

«Nous n'étions pas les seuls à s'intéresser aux rythmes répétitifs, minimalistes, voire hypnotiques», explique Jean-Luc Peròn, l'un des fondateurs de Faust. «Il y a eu l'époque bebop, l'époque rock'n'roll; nous, dans les années 70, en Allemagne, c'était le minimalisme, la répétitivité.»

La fin des années 60 a vu émerger une première vague de groupes que l'auteur britannique Julien Cope, vingt ans plus tard, allait désigner comme la scène krautrock, un nom emprunté à une longue et répétitive composition de Faust. Pour Peròn, l'impulsion primale était la même pour tous ces musiciens: un rejet en bloc du rock'n roll à l'américaine ou à la britannique. La recherche d'une nouvelle forme de rock, qui ne doit rien à personne. Sinon au Velvet Underground. «Le phénomène répétitif, aux harmonies simples, ça nous est tombé dans l'oreille.»

«Mais en 1969, lorsque Can et Amon Duul ont lancé leurs premiers disques, personne ne les écoutait, même en Allemagne! Il y a eu des gens qui ont eu beaucoup d'influence, mais plus tard. Il y avait certes une idée partagée par tous ces musiciens, mais exprimée de manière radicalement différente», tient à rappeler Peròn.

D'abord une commande

Et Faust comptait parmi les plus radicaux. Le musicien a parfaitement raison, bien qu'on sente qu'il veuille remettre les fameux Can, Kraftwerk, Guru Guru et Amon Duul à leur place dans l'histoire parce que Faust, plus obscur, est bel et bien le groupe qui a fait connaître la scène, d'abord en Angleterre, puis dans le reste du monde.

«Je n'ai pas de honte à le dire: Faust était d'abord une commande», résume le musicien. Début 1971, Uwe Nettelbeck, un producteur, critique de cinéma, réalisateur et nouvellement employé de Polydor, cherche à monter un orchestre pour assurer la musique d'un de ses films. Il en parle avec Peròn, qui enrôle ses amis, dont le batteur Werner «Zappi» Diermaier, l'autre membre original encore dans l'alignement de Faust.

Le premier disque se fait rapidement, et connaît un succès auprès des initiés. Grâce à Polydor, il traverse les frontières et se retrouve chez les disquaires britanniques, où la pochette est remarquée. «Mais on a toujours refusé de faire des compromis avec l'industrie de la musique.» Le groupe se fait montrer la porte de Polydor, pour vite être récupéré par la jeune étiquette Virgin. Le deuxième album sera le plus populaire: 100 000 exemplaires de So Far vendus en Grande-Bretagne, à la faveur d'un prix réduit (49 pences!) qui encourageait l'achat impulsif.

C'est grâce à The Faust Tapes (1973), album incompris à sa sortie, que Faust entrera dans l'histoire. Échevelé montage sonore qui allie rock et électronique d'avant-garde, l'album est considéré comme un classique et la tournée européenne qui suivit allait souder la légende du groupe.

«On donne encore des spectacles imprévisibles, mais on ne peut pas être aussi fous qu'à l'époque. Notamment parce que les producteurs de spectacles nous font signer des contrats dans lesquels il est stipulé qu'on ne peut pas mettre le feu ni utiliser de la pyrotechnie...» déplore-t-il sur un ton amusé.

Trois disques et une tournée de Faust ont suffi pour que le monde remarque toute la créativité qui émergeait de l'Allemagne rock des années 70 et qui inspira nombre de musiciens, à commencer par David Bowie et Brian Eno (la «trilogie berlinoise»). C'est un peu ce que le groupe tente de recréer sur scène.

Faust, ce soir, 21h30, à la salle de la Fédération ukrainienne.