Ces 15 dernières années, j'ai vu Daniel Bélanger sur scène un nombre incalculable de fois et dans toutes sortes de formules: en solo, accompagné de deux, trois musiciens ou plus et même soutenu par un orchestre symphonique. Que ce soit au défunt d'Auteuil de Québec, sur une scène extérieure à la Fête nationale, au Spectrum, au Métropolis ou à la salle Wilfrid-Pelletier, je ne l'ai jamais vu rater son coup. Tout semble lui réussir.

Pourtant, mercredi, quand il a amorcé son concert «avec groupe» (par opposition au solo qu'il livrait mardi au Théâtre Maisonneuve), je me suis un peu inquiété. Loin de s'envoler, les musiques échafaudées par Carl Bastien (guitare et claviers), Jean-François Lemieux (basse), Alex McMahon (batterie) et lui, collaient au plancher. C'était lourd. Lourdaud, même.

Il a été clair d'entrée de jeu que, s'il s'apprêtait à livrer ses plus grands succès, il n'allait pas se contenter de les interpréter dans les versions qu'on connaît par coeur. On s'attendait à des réaménagements, bien sûr, mais pas à ce genre de rock pesant et un peu sec de la part de cet auteur-compositeur apprécié pour ses chansons aériennes. Décollage difficile, donc.

Trois ou quatre chansons plus tard, la musique a véritablement pris son envol avec Les temps fous. Tout a semblé s'alléger et s'arrondir d'un seul coup. Tout le monde au Métropolis l'a senti: les applaudissements, d'un enthousiasme poli jusque là, ont redoublé. Peu après, une bonne partie de la salle chantait joyeusement le refrain d'un vieux succès, Ensorcelée.

Encore une fois, Daniel Bélanger a gagné son pari. Tout au long de la soirée, il s'est amusé à revisiter ses chansons les plus connues, les ponctuant d'intermèdes musicaux plus ou moins improvisés. Il a joué avec les couleurs, aussi. Le son de clavier très daté choisi pour Dans un spoutnik a notamment ramené cette chanson rêveuse datant de 2001 aux années 70, quelque part entre le rock progressif et Kraftwerk. Étrangement, mais fascinant.

Taquin, le chanteur s'est aussi amusé à jouer avec les attentes de ses fans. Il les a fait languir en interprétant Cruel, mais sans la décharge de guitare électrique qui vient au refrain. À la place, il muselait sa guitare et laissait toute la place au groove délicat installé par ses trois acolytes. Le petit jeu a fonctionné, jusqu'à ce qu'il étire un peu trop la sauce à la fin et qu'il finisse par perdre le momentum (les gens se sont mis à jaser). Visiblement, tous les amateurs de chanson ne sont pas des fanas de musique «improvisée».

Daniel Bélanger a brièvement perdu le contrôle de cette façon à quelques reprises, mais ce qu'on retient de ce «joli chaos» (c'était le titre du spectacle), c'est surtout une énergie folle, un plaisir contagieux de se laisser porter par la musique. La fin de l'Homme, en fin de programme, a été magnifique. Intouchable et immortel, au premier rappel, stupéfiante. Deux rappels (il a chanté Le parapluie au second), c'était trop peu.