Le rap québécois a maintenant 25 ans (et des poussières). Et le succès actuel de Sir Pathétik auprès des jeunes amateurs, l'émergence d'une nouvelle génération de rappeurs - Arvida Crew, Obscene Kidz, Donzelle, Radio Radio, Movèzerbe, Jeune Chilly Chill, tous à l'affiche de ces 21es Francos - témoignent du dynamisme actuel de la scène. Pourtant, tout a commencé par des parodies de chanteurs américains, rappelle Philippe Renaud, qui dresse le portrait du rap québécois, à l'honneur en clôture des FrancoFolies avec le «Rap party des Francos».

Les deux premières chansons rap québécoises sont encore incrustées dans la mémoire collective. Lesquelles? Le Rap à Billy de Lucien Francoeur, succès radiophonique de 1983, et Ça rend rap, de Rock et Belles Oreilles, lancé en 1984. Mentionnons aussi, pour la forme, le Pape du rap de Daniel Lavoie (1990), le premier album des French B. (1991) et l'oeuvre du Boyfriend (son succès Rappeur Chic, 1991).

Il a fallu attendre la fin des années 80 pour voir arriver un groupe pouvant se proclamer «pionnier du rap québécois», ainsi que les qualifie Cédric Morgan, cofondateur du défunt label MontReal. Ce groupe, Mouvement Rap Francophone (M.R.F.), duo formé du rappeur Kool Rock et du DJ/platiniste Jay Tee, a véritablement lancé la production hip-hop locale.

M.R.F. a lancé, en 1990, un premier album contenant la chanson M.R.F. est arrivé, sur l'échantillon de Funky Drummer de James Brown. M.R.F. a eu un bon écho sur Musique Plus. Plus tard, c'est justement un ancien animateur de Musique Plus, KC LMNOP, qui a lancé le premier album rap québécois, Ta Yeul', en 1996.

«À l'époque, la scène rap n'était pas structurée au Québec, et commençait seulement à l'être en France», se souvient Morgan, l'un des principaux acteurs de l'émergence d'une scène rap québécoise. Au début des années 90, il animait l'émission phare du courant, sur les ondes de CIBL. Le nom de l'émission: Dubmatique. «Jérôme [DiSoul] et Ousmane [O. TMC] venaient à l'émission; on faisait des sessions de freestyle. C'est comme ça que ça a commencé».

Au même moment, Morgan bossait pour l'étiquette Virgin à Montréal, qui a lancé la (brève) carrière du groupe Alliance Ethnik. Leur succès Simple et funky a ouvert une brèche dans le marché québécois, confirmant le potentiel de cette musique grâce à deux concerts très courus, à Montréal et à Québec.

C'est dans ce terreau fertile que Dubmatique a risqué l'enregistrement d'un premier album, La force de comprendre, paru en 1996. Environ 150 000 exemplaires du disque ont trouvé preneurs, grâce à l'appui des radios commerciales et de Musique Plus. «Le succès nous a surpris, confie O. TMC, nous autant que les gens de l'industrie. Si on se rappelle bien, l'album a été primé au Gala de l'ADISQ... dans la catégorie album rock alternatif», parce que la catégorie hip-hop n'avait pas été inventée!

«Sur la scène, ça s'est mis à aller très vite après ce succès», dit le vétéran rappeur qui, avec son comparse DiSoul, effectuera samedi son retour sur scène, en attendant la parution d'un nouvel album cet automne. «Les labels ont vite signé de nouveaux artistes. Les rappeurs d'ici se disaient: si eux peuvent réussir, nous aussi, nous sommes capables!»

La force de comprendre a été un véritable coup de fouet pour les rappeurs de la première heure: RDPizeurs, Rainmen (dont la chanson Pas d'chilling a résonné jusqu'en France), Muzion et un jeune duo, Sans Pression, formé des rappeurs SP et Ti-Kid.

On a assisté à l'arrivée des premiers beatmakers, DJ Ray Ray, Sonny Black, Manifest, et des premières structures telles que l'étiquette MontReal, qui a marqué son époque en lançant les carrières de Sans Pression et Yvon Krevé.

Rapper en joual

«En 1999, lorsqu'on lance 514-50 Dans mon réseau [de Sans Pression], le hip-hop québécois est passé au «réalisme», abordant des thèmes plus près de la rue. Le groupe a aussi ouvert les esprits en rappant en joual», rappelle Morgan.

Parallèlement à l'explosion du rap à Montréal, la ville de Québec a vu émerger ses propres talents, à commencer par le collectif 83, formé notamment des membres de Taktika et de la Constellation. De ce dernier groupe est issu le rappeur 2Faces qui, lors de la diffusion du gala de l'ADISQ en 2002, s'est invité sur scène pour sensibiliser l'industrie à l'importance de la scène hip-hop québécoise.

Le hip-hop est encore bien en selle au Québec et les Francos proposeront dimanche un party de clôture animé par cinq formations d'ici: Gatineau, Samian, Loco Locass, Poirier (avec Face-T) et les Acadiens de Radio Radio, qui prévoient lancer un nouvel album en février.

«J'ai écouté Dubmatique autant que le rap de la côte Est américaine», dit TX, de Radio Radio. Aujourd'hui, la production rap francophone s'est diversifiée; Radio Radio suit la tendance en apportant de nouvelles sonorités à la musique, électroniques et dansantes, comme le font aussi les Arvida Crew et Obscene Kidz, nouveaux ovnis de cette scène pluridimensionnelle.

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Dubmatique, samedi 21 h à la Place des festivals, et Le rap party des Francos, dimanche 18 h sur la scène du stationnement Clark.