Il incarne depuis plus de 30 ans les luttes sociales du peuple haïtien. Avec sa guitare, il a critiqué, contesté, fait de la prison et vécu deux exils forcés, avant de devenir maire de Port-au-Prince. Sorti de la politique, mais pas de la chanson, Manno Charlemagne donne le coup d'envoi du Festival Haïti en folie, ce soir au Théâtre Plaza. De la visite rare.

«Le problème avec Haïti, ce sont les Haïtiens. Dès qu'ils prennent le pouvoir, ils deviennent des phallocrates...»

Manno Charlemagne a peut-être passé la soixantaine, mais il ne mâche toujours pas ses mots. Fidèle à sa réputation de grande gueule, le «Bob Dylan haïtien» dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas.

Ça ne l'a pas toujours bien servi, remarquez. Il fut un temps où le chansonnier risquait sa vie pour de tels commentaires. En 1980, par exemple, il avait critiqué Duvalier fils en plein spectacle. Cet affront public l'avait forcé à la clandestinité, puis à l'exil. Il a notamment vécu à Montréal, avec l'aide de l'élite intellectuelle québécoise.

Retourné au pays en 1986 après la chute de Baby Doc, Manno Charlemagne constate qu'il est devenu une véritable vedette. En son absence, ses chansons ont fait leur chemin dans l'underground haïtien. Désormais consacrée, sa voix permet de porter Jean-Bertrand Aristide au pouvoir. Mais après le coup d'État de 1991, qui provoque le départ du président, il doit à nouveau quitter le pays. «Je suis le premier qu'ils ont arrêté, dit-il. Après un simulacre de justice, on m'a relâché tout en me menaçant. Je suis retourné vivre à Miami jusqu'à mon retour, en 1994.»

Le politicien a des regrets

Malgré cette vie chaotique, ponctuée de nombreux allers-retours entre Haïti et l'Amérique du Nord, Manno Charlemagne ne regrette pas ses audaces. Clairement à gauche, ses chansons n'ont jamais cessé de dénoncer la misère et les inégalités sociales. Et si les résultats n'ont pas toujours été à la hauteur de ses attentes, il sait qu'elles ont contribué à l'éveil et à la conscientisation du peuple haïtien.

Ce qu'il regrette, en revanche, c'est d'avoir «sauté la clôture» pour devenir politicien à son tour. Entre 1995 et 1999, Manno Charlemagne est en effet devenu maire de Port-au-Prince, dans l'espoir de passer de la parole aux actes. De l'avis général, y compris le sien, l'expérience ne fut pas très convaincante. «C'était une erreur, reconnaît-il. Je ne sais pas pourquoi j'ai accepté. Au début, je ne voulais pas. Mais la pression était grande. On m'attendait. Je n'ai pas été capable de dire non fermement. Bien sûr, j'ai appris à connaître les coulisses du pouvoir. Mais je n'ai rien réglé.»

Cette parenthèse politique, Manno Charlemagne admet l'avoir «payée cher». Peut-être lui fallait-il connaître le revers de la médaille. Il assure que ce n'était pas son but. Mais pour la première fois, c'est lui que l'on critiquait et non l'inverse.

Ceci expliquant en partie cela, le chansonnier s'est fait plus discret au cours de la dernière décennie. Établi à Miami, où la diaspora haïtienne est nombreuse, il chante et se produit sur scène de façon ponctuelle, au gré de ses désirs et de ses humeurs. Selon certains, l'avoir fait venir à Montréal tiendrait du tour de force.

Et Haïti? Le constat est difficile, admet-il. Le peuple est «affaibli mentalement». Les richesses sont toujours concentrées entre les mains d'une minorité. Que Bill Clinton ait été nommé envoyé spécial des États-Unis à Port-au-Prince ne semble pas le réjouir davantage. Ce n'est pour lui qu'un chapitre de plus dans le grand livre du colonialisme américain en Haïti.

«Finalement, pas grand-chose n'a changé. Des fois, je me demande si mes chansons ont servi à quelque chose!» conclut-il avec une pointe de cynisme.

Manno Charlemagne, ce soir 19h au Théâtre Plaza, 6505, rue Saint-Hubert, dans le cadre du Festival Haïti en folie. Infos: 514-882-3334 ou www.haitienfolie.com

 

D'autres folies...

Le troisième Festival Haïti en folie se poursuit jusqu'à dimanche, avec une série de spectacles extérieurs et intérieurs. Petit aperçu de la programmation.

>Vox Sambou et Boukman Eksperyans

Le premier vient de Montréal et rappe en créole. Les seconds viennent d'Haïti et n'ont plus besoin de présentation. Finalistes aux Grammy Awards pour l'album Vodou Adjae, ils sont les ambassadeurs de la musique racine (vaudou) sur la carte mondiale. Le film Haïti chérie est présenté en complément de programme.

- Vendredi 18 h 30, au Théâtre de Verdure du parc La Fontaine. Entrée gratuite.

> Lynda Thalie, Lorraine Klasse, Sara Renelik, Boukman Eksperyans

Pour le vrai show de Boukman, c'est là que ça se passe. Le spectacle de la veille n'était qu'un avant-goût. En première partie, trois chanteuses issues du Montréal multiculturel, dont l'Haïtienne Sara Renelik.

- Samedi 19 h, Centre Leonardo Da Vinci, 8350, Lacordaire

> Pawòl Chouchoun

Les monologues du vagin en créole, ça vous allume? Pas de doute, voilà une intrigante version haïtienne de la célèbre pièce d'Eve Ensler.

- Dimanche 19 h, Complexe Cristina, 6566, Jarry Est