À la blague, le saxophoniste new-yorkais Rudresh Mahanthappa pourrait être qualifié d'amérindien. Sérieusement? On sèmerait certes la confusion en lui affublant cet adjectif! Dans le cas qui l'occupe, en tout cas, ce qualificatif renvoie à une tout autre appartenance: indienne et américaine. Il est de passage au Festival pour présenter son trio Indo-Pak Coalition.

Né en Italie, élevé aux États-Unis, citoyen américain, Rudresh Mahanthappa provient d'une famille originaire de Bangalore, en Inde méridionale. Son père est professeur de physique à l'Université de Boulder au Colorado. Ses frères sont aussi scientifiques.

«Je crois que les meilleurs chercheurs en science et les artistes visionnaires ont cette même combinaison d'instinct et d'intellect», soulève ce musicien brillant, rencontré à New York il y a quelques semaines.

«D'ailleurs, ce qui m'intéresse chez les grands innovateurs du jazz depuis les débuts du genre (Louis Armstrong, Charlie Parker, etc.), c'est la grande intelligence de leur discours musical et le côté viscéral de leur expression. Mes modèles combinent les deux. La musique classique indienne est à la fois instinctive et incroyablement technique.»

Rudresh Mahanthappa, qu'on a vu samedi dernier au Théâtre Maisonneuve dans le cadre du concert Miles From India, vient cette fois présenter Indo-Pak Coalition, un trio qui intègre jazz et musique indienne - surtout hindoustanie.

«Il est rare, souligne-t-il, que l'intégration entre musique indienne et jazz fonctionne parfaitement. Parmi les réussites, je pense au groupe Crazy Saints qu'avait fondé le tablaïste Trilok Gurtu. Mais... honnêtement, j'ai du mal à trouver de très bons projets Est-Ouest. Et je ne mentionnerai pas les mauvais mélanges tentés par des jazzmen célèbres.»

D'abord musicien de jazz (études d'interprétation à Berklee, études de composition à l'Université DePaul), Rudresh Mahanthappa dit avoir mis du temps avant d'être à l'aise avec les musiciens et instruments indiens.

Le jazz et le non-jazz

«J'étais contre l'idée de combiner spontanément un quartette de jazz et un trio carnatique - musique de l'Inde méridionale. Je cherchais une meilleure intégration. Et c'est ce que je cherche aujourd'hui encore. En fait, j'essaie de ne pas trop réfléchir à la relation entre Occident et Orient. Quand je compose, je pense plutôt à la relation entre jazz et non-jazz. Ce que je propose s'inscrit dans un continuum, c'est-à-dire la rencontre du jazz et d'autres influences comme la musique latine, par exemple.»

«Ce que je fais n'est donc pas une fusion, mais plutôt l'injection de musique classique indienne dans le jazz. Cette musique représente mon biculturalisme, dont je ne sais jamais la dominante. Je suis d'origine indienne et je fais partie du paysage nord-américain... En une heure, je peux me sentir vraiment américain pour ensuite me sentir davantage indien. Ma musique représente cet état. Je ne présente pas cet amalgame pour être plus cool, mais bien parce que cet amalgame me définit en tant qu'artiste, en tant qu'être humain.»

Jusqu'à une période récente, d'ailleurs, ce que Rudresh Mahanthappa a fait musicalement était beaucoup plus proche du jazz. Authentique virtuose, le musicien est tributaire de cette vague de saxophonistes altos initiés par Steve Coleman, Greg Osby et David Binney.

«Jusqu'à l'arrivée de Coleman et Osby, l'alto était en panne conceptuelle depuis longtemps. L'instrument connaît une relance depuis», estime Mahantappa.

Musicien des plus prolifiques, le saxophoniste et compositeur mène de front plusieurs projets différents en tant que leader ou coleader: quartette, ensemble électrique, septuor, quintettes, trios, duo avec le superbe pianiste Vijay Iyer. L'automne dernier, il a lancé deux albums à coloration indienne: Kingsmen (avec l'ensemble Dakshina) et, en trio, Indo-Pak Coalition. C'est cette formation qui partagera la scène, ce soir, avec l'excellent guitariste Rez Abassi et le tablaïste Dan Weiss... qui n'a rien d'indien.

Toute petite, la planète...

L'Indo-Pak Coalition de Rudresh Mahanthappa se produit ce soir, 22 h 30, au Gesù.

 

En un mot

Le saxophoniste Rudresh Mahanthappa amalgame patrimoine et vision jazzistique.

Album essentiel

Indo-Pak Coalition, étiquette Innova. Cet album en trio représente l'amalgame idéal entre jazz contemporain et musique classique indienne.