Accompagnés des musiciens de l'époque, les Stranger Cole, Ken Boothe, Hopeton Lewis, Marcia Griffith et quelques autres chanteurs ayant marqué l'ère rocksteady prendront la scène de la Place des festivals d'assaut pour nous faire revivre la magnifique époque qu'ils ont marquée. Pour l'occasion, La Presse a discuté avec Ken Boothe, «Mr. Rocksteady», et Leroy Sibbles, leader de la formation The Heptones.

Avant de prendre la forme du Grand événement du 30e Festival de jazz, Rocksteady: The Roots of Reggae était un projet de documentaire qui, tout naturellement, devait passer par Montréal.

Pourquoi Montréal? Parce que depuis près de 30 ans y habite le guitariste, arrangeur et chef d'orchestre Lynn Taitt, sans doute le plus important musicien de l'ère rocksteady, le genre musical jamaïcain qui a fait long feu (à peine deux ans) et qui a assuré la transition entre le ska et le reggae tel que Bob Marley nous l'a fait connaître.

«Oh! M. Taitt était un musicien exceptionnel», insiste Ken Boothe, joint à son domicile en banlieue de Kingston, en Jamaïque. «Il a été la flamme de cette époque; je conserve d'incroyables souvenirs de nos sessions en studio. Je ne peux me rappeler ces années sans penser à lui, à son style de jeu qui a carrément défini la musique de l'époque. Il a joué avec tout le monde, tous les grands chanteurs et musiciens!

«C'est aussi un peu pour lui qu'on fait ce concert et qu'on a travaillé sur le documentaire; je trouve ça dommage qu'il soit ensuite tombé dans l'oubli...»

Gravement malade, Lynn Taitt devait participer au documentaire; il aura finalement écrit tous les arrangements des chansons qui ont été interprétées lors du concert-réunion de Kingston, capté pour la postérité par l'équipe de production suisse et montréalaise de Rocksteady: The Roots of Reggae.

Leroy Sibbles a aussi déménagé au Canada, dans les années 80, avant de revenir dans son pays d'origine, «pour me reconnecter avec la musique, revenir dans le milieu». Si les Heptones ont émergé à l'époque du rocksteady (comme plusieurs autres ensembles vocaux), la renommée du groupe et de son leader a trouvé son assise alors que la musique se transformait du «early reggae» au «reggae roots».

Sibbles, guitariste, bassiste, compositeur et chanteur, était particulièrement prolifique à cette époque, accouchant de riddims classiques pour Studio One, entre autres grands studios. «Tous les studios de l'époque - Studio One, Treasure Isle, les studios de Joe Gibbs, Keith Hudson, tout le monde se battait pour sortir la meilleure musique, les plus gros succès. Il y avait beaucoup de compétition, mais c'était somme toute amical. Et c'est cette compétition qui nous encourageait à nous surpasser. Nous étions souvent jaloux du succès des autres!»

Ken Boothe: «Franchement, j'avais à l'époque de très bons rapports avec Alton Ellis», son grand rival de l'ère rocksteady, mort il y a quelques mois seulement. Ellis et Boothe sont considérés comme les plus grands artistes solos de cette époque, les versions jamaïcaines des grandes stars du soul et du R&B américains dont ils s'inspiraient: «Moi, dit Leroy Sibbles, mes inspirations, mes idoles étaient Curtis Mayfield, Wilson Pickett et Sam Cooke...» L'invité du festival promet de nous servir une belle sélection de ses succès, de The Train is Coming à Artibella (qu'il avait d'abord enregistré en duo avec Stranger Cole).

Du bon temps en perspective. «Tout ce projet était merveilleux, dit Leroy Sibbles. Le documentaire, puis le concert à Montréal, c'est une belle occasion de faire rayonner ces chansons. Les gens avec qui on a travaillé [les producteurs du documentaire] savaient ce qu'ils voulaient. Nous ne sommes pas forcément nostalgiques de cette époque, mais nous sommes fiers de montrer à quel point nous avions du talent. Il faut se souvenir des vieux comme nous!»

Le dernier mot revient à cette bête de scène qu'est encore Ken Boothe à 61 ans: «Nous faisons ça pour que le public puisse revivre un peu de cette ère que nous avons vécue. Nous faisons ça pour que les gens comprennent d'où on vient, d'où provient le reggae. Je suis prêt à divertir tous ceux qui nous connaissent, et encore plus ceux qui ne nous connaissent pas encore!»

Rocksteady 101

Époque charnière dans l'histoire de la musique jamaïcaine, le rocksteady pourrait être simplement décrit comme le chaînon manquant entre le ska et le reggae. Plus clairement, il s'agit d'un genre fortement calqué sur le R&B et le soul américain de l'époque, celui de Motown et de Stax, dont les artistes étaient aussi populaires à cette époque en Jamaïque. Historiquement, la pop jamaïcaine a connu un véritable coup de tonnerre avec l'arrivée du ska, genre associé à l'indépendance du peuple jamaïcain, en 1962. Quatre ans plus tard, le rythme a ralenti, les instrumentistes y trouvant plus de liberté, et le rocksteady (en vogue de 1966 à la fin de 1968) s'est imposé comme le nouveau style. D'un point de vue musical, on attribue au guitariste Lynn Taitt - un Trinidadien d'origine qui a passé les 30 dernières années en banlieue de Montréal! - l'évolution du «son» rocksteady vers le reggae, grâce à son jeu de guitare (et ses qualités d'arrangeur) influent. Les grands noms de cette scène sont Alton Ellis, Ken Boothe, Bob Andy, Phyllis Dillon, et une myriade de groupes vocaux tels que The Jamaicans, The Pioneers, The Techniques, The Heptones, The Ethiopians, The Melodians...

En un mot

Vous aimez le soul et le R&B américains classiques des années Motown? Alors vous adorerez le rocksteady, genre méconnu qui a pavé la voie au reggae dans le milieu des années 60.

Dernier disque

Rocksteady, The Roots of Reggae, compilation d'artistes variés, Moll-Selekta.