Jeff Beck s'amène sur scène sans présentation aucune. Pas nécessaire, le public de Wilfrid-Pelletier le connaît, il l'attend depuis toujours: le concert n'était pas commencé qu'il y a déjà un attroupement de fans maniaques qui examinaient «l'équipement» avec des étoiles dans les yeux. Même s'il n'est que 18h, il y a dans l'air la fébrilité des grands soirs.

Beck est tout de blanc vêtu, botillons compris. Il lance des becs (facile...) à la foule bruyante qui s'est levée d'un trait pour l'accueillir. Il n'a pas encore joué une note qu'on remarque en lui une qualité essentielle de tout guitar hero qui se respecte: l'attitude rock.

Beck a beau avoir fait le virage fusion il y a 35 ans, sa guitare n'est pas encore au courant. Heureusement. Pour dire les choses crûment, quand les tounes sont plates - ce qui n'est pas rare dans le jazz-rock où on privilégie trop souvent la pyrotechnie - le spectacle ne l'est jamais avec Jeff Beck. Le guitariste se met en scène, il fait des gestes plus grands que nature, joue au gamin de 65 ans qui se jette à genoux pour remercier le public ou pour faire le baise-main à son extraordinaire bassiste australienne Tal Wilkenfeld. Quand, vers la fin du spectacle, la jeune femme s'avance dans la lumière jusque-là réservée au guitariste vedette, Beck se place immédiatement derrière elle et ils jouent un solo de basse à quatre mains!

Ça pourrait facilement virer au cirque si la musique n'était aussi bien jouée. Si ce n'était pas Jeff Beck, quoi. L'homme a été l'un des tout premiers à comprendre que sens du spectacle et compétence musicale pouvaient faire bon ménage. Et il nous en a donné la plus belle preuve lundi soir.

Les moments forts ont été nombreux, depuis Beck's Bolero où l'intrusion bruyante, et inopinée, de l'orgue de Jason Rebello n'a pas déconcentré le moins du monde le guitariste, jusqu'à sa version inspirée de A Day in the Life des Beatles. Beck a l'intelligence, la sensibilité et le culot pour marquer cette chanson de sa signature et la rendre dans toute sa beauté dramatique.

Son emprunt à Stevie Wonder, Cause We've Ended As Lovers, était saisissant. Non seulement la guitare de Beck chantait-elle comme une voix de femme, mais son long solo avait bien plus d'énergie et de folie que ce qu'on a vu dans le DVD Live at Ronnie Scott's. Je pense aussi à Nadia, de Nitin Sawhney, où Beck donnait l'impression de jouer du sitar, aux notes haut-perchées qu'il a tirées de sa guitare, les deux mains sur son manche, pendant Angel (Footsteps) et à la bien-nommée Brush With the Blues au beat pesant qui a fait se lever toute la salle.

Behind the Veil, sur un rythme reggae, a prouvé hors de doute que ce groupe-là est remarquablement soudé. Si le claviériste Rebello est moins en évidence, on sent toujours la basse de Wilkenfeld rouler derrière la guitare tantôt plaintive, tantôt rugissante de Beck, et le batteur Vinnie Colaiuta s'est imposé comme le moteur de cette machine bien huilée bien avant son solo au début de Led Boots.

Au rappel, Beck et Rebello nous ont servi la délicate Where Were You puis, avec Wilkenfeld et Colaiuta, Beck nous a joué le thème de Peter Gunn. Pour que notre bonheur soit complet, il ne manquait que Ding et Dong.