L'an dernier, Dave Brubeck a donné au Festival de jazz un concert émouvant où, à la demande d'André Ménard, il a même consenti à jouer une ou deux pièces seul au piano, ce qu'il ne fait jamais. À 88 ans, après de récents ennuis de santé, il nous revient pour célébrer le 50e anniversaire de l'un des albums les plus populaires de l'histoire du jazz: Time Out. Conversation avec un battant.

Une demi-siècle plus tard, on a peine à imaginer que Dave Brubeck ait dû se battre pour que la compagnie de disques Columbia lance son album Time Out sur le marché. Ce disque a connu un succès foudroyant, jusque-là réservé aux seuls albums de musique populaire, et les pièces Take Five et Blue Rondo à la Turk ont tellement été jouées qu'on soupçonne même les Martiens de les avoir entendues.

 

«Ce disque a dépassé toutes les attentes que nous aurions pu avoir», reconnaît Dave Brubeck, joint à Chicago où il se produisait avec son quartette samedi dernier. Nous voulions uniquement faire un album intéressant et qui, pour nous, serait très différent. Aujourd'hui, son succès ne se dément pas partout dans le monde - enfin, je ne parle pas du monde entier, mais presque. En Russie, en Pologne, en Turquie, en Inde, ils adorent Take Five. C'est particulièrement vrai en Afrique, où elle est encore dans les juke-box!»

Pourtant, en 1959, les bandes de Time Out ont bien failli rester dans les coffres de la compagnie de disques Columbia. «Le département des ventes ne l'aimait pas du tout, mais le président l'a adoré, se souvient Dave Brubeck. Évidemment, il avait raison; c'est pour ça qu'il était le président!»

Avec ses métriques inhabituelles, qui allaient pourtant contribuer à en faire le premier album de jazz vendu à un million d'exemplaires, Time Out a été accueilli par des critiques négatives. «Son succès est venu de la base, du public, plutôt que d'une compagnie de disques qui aurait beaucoup investi dans sa promotion, rappelle Brubeck. Au contraire, chez Columbia, ils étaient tellement surpris parce qu'ils ne voulaient pas que ça soit un succès. Mais la radio a commencé à faire tourner le disque, à Cleveland d'abord, puis à Chicago, et le téléphone n'a pas dérougi: c'est quoi cette nouvelle approche? Le public était très enthousiaste.»

Pour un solo de batterie

C'est un peu par accident que Take Five est devenu le classique que l'on connaît. Le regretté saxophoniste alto Paul Desmond, à qui on attribue souvent la paternité de cette pièce, a déjà expliqué que ça devait être au départ un solo du batteur Joe Morello.

«C'est certainement la signature rythmique de Joe, en 5/4, qui a fait cette chanson, reconnaît Brubeck. Paul devait écrire ce solo pour Joe, mais il n'y parvenait pas. Il a donc mis des idées sur papier et je les ai assemblées. C'est moi qui lui ai donné le titre Take Five. Le morceau n'a pas pris forme en studio, mais plutôt dans la pièce avant de ma maison, pendant qu'on répétait. C'est la contribution de chacun des membres du vieux quartette (dont faisait également partie le contrebassiste Eugene Wright) qui a permis cela. Le public nous l'a réclamée à chaque concert depuis.»

L'idée d'un concert commémoratif pour le 50e de Time Out n'est pas de lui, avoue Brubeck: «Non, c'est l'idée de la compagnie de disques qui est devenue Sony. Qu'ils en soient fiers aujourd'hui, n'est-ce pas un véritable revirement? Des jeunes gens ont pris la relève et je suis tellement content qu'ils l'apprécient.»

Une infection virale a forcé Dave Brubeck à modifier les plans de sa tournée, en avril dernier. Une fois rétabli, il s'est tapé des voyages qui auraient épuisé un homme deux fois plus jeune que lui.

«J'ai dû louer un véhicule récréatif, et nous avons parcouru en moyenne 350 milles par jour pour donner tous les concerts que nous avions reportés, explique-t-il. Ça n'a pas été facile, mais je l'ai fait. C'est l'amour de la musique qui me permet d'endurer tout le reste. Quand vous voyagerez aussi souvent que nous le faisons, vous comprendrez ce que je veux dire.»

Dave Brubeck, Salle Wilfrid-Pelletier, ce soir, 19h30.

EN UN MOT

Le créateur d'un album innovateur qui a connu un succès jusque-là inimaginable pour un disque de jazz.

UN ALBUM ESSENTIEL

The Dave Brubeck Quartet, Time Out, Sony

À ÉCOUTER

Take Five, Blue Rondo à la Turk