Joshua Redman a franchi le cap de la quarantaine cette année. Le saxophoniste, compositeur et improvisateur franchit également une autre étape de sa reconnaissance sur la planète jazz, comme en témoignent ses trois spectacles au FIJM.

Commençons par le plat de résistance... servi au dessert!

En 2007, Joshua Redman lançait Back East, dont l'objet était de s'inspirer de Way Out West, un classique de Sonny Rollins enregistré en 1957. Voyait alors le jour le concept du trio saxophone-contrebasse-batterie, donc sans instrument harmonique. Au cours du demi-siècle qui s'ensuivit, plusieurs ont fait évoluer ce concept, dont Joshua Redman qui nous en propose une formidable actualisation avec Back East et Compass.

Le plus récent opus de Redman double l'équation, puisqu'une large part de son répertoire réunit simultanément un duo de contrebassistes (Reuben Rogers et Larry Grenadier) ainsi qu'une paire de batteurs (Greg Hutchinson et Brian Blade) au centre desquels s'exprime le saxophoniste.

«Je me sens de plus en plus à l'aise et de plus en plus libre dans ce contexte. Pour un saxophoniste, c'est très exigeant. Ça m'a pris quelques années pour parvenir à être à l'aise sans instrument harmonique, pour ressentir de la force et de la facilité, pour être capable de créer des musiques qui me sont propres. Or le double trio est un autre animal! Ses «messages» les plus importants proviennent du dialogue entre les musiciens (batterie-batterie ou basse-basse, par exemple), pas seulement du saxophone avec les autres. Dans ce contexte, je deviens d'abord un catalyseur.»

Avec succès, d'ailleurs. Paru sur Nonesuch, voilà l'un des meilleurs disques de Joshua Redman depuis qu'on l'a découvert au tournant des années 90, avec pour sideman un certain Brad Mehldau.

«Je ne peux jamais dire que je suis entièrement satisfait d'un enregistrement, nuance le principal intéressé. Dans le cas de Compass, cependant, je garde quand même un net sentiment d'accomplissement, de cohésion acquise. Les morceaux du puzzle ont été assemblés comme par magie, même si je n'avais pas une notion claire de ce que je voulais réaliser. J'ai suivi mon instinct, j'ai laissé les choses aller naturellement, j'ai fait confiance au processus de création tout en restant conscient que je n'avais jamais enregistré avec deux trios à la fois.

«Il faut dire que je ne partais pas de rien: j'ai joué souvent en trio avec les musiciens de Compass. Déjà, il y avait entre nous cette confiance, cette grande connexion. C'est d'ailleurs pourquoi le même personnel vient à Montréal. À l'avenir, j'espère en faire l'expérience quelques fois par an, même si ces soirées sont difficiles à organiser vu les horaires chargés de chacun d'entre nous.»

Joshua Redman se produit aussi en quartette, une nouvelle priorité pour le saxophoniste.

«Nous essayons de créer un nouvel ensemble qui durera et dont chaque membre pourra être considéré comme le sideman de l'autre. Je fonde de grands espoirs sur ce quartette.

«Eric Harland est de l'aventure, il est à mon sens le meilleur batteur de sa génération, il a un sens naturel de la musique et s'adapte à tous les contextes. En plus d'être subtil, il est une authentique centrale d'énergie! Aaron Parks a une perspective très intéressante du piano et de la composition. Matt Penman, lui, est un formidable jeune contrebassiste. C'est pour moi le mélange idéal, car chacun d'entre nous a sa personnalité propre. La table est mise pour une longue aventure.»

Et le concert avec Joe Lovano?

«Bien sûr, il est l'un des plus grands saxophonistes ténors vivants. J'ai eu l'occasion de jouer avec lui à plusieurs reprises. Une de mes plus grandes influences. En l'écoutant ou en partageant la scène avec lui, j'ai beaucoup appris, car il est un musicien libre et généreux. Nous allons jouer sûrement des extraits de son album Tenor Legacy, nous jouerons aussi des pièces de Back East dans lequel il a joué. Par ailleurs, je proposerai d'autres pièces qui favorisent l'interaction entre deux saxophones. Sam Yahel, qui a déjà joué dans mon Elastic Band, sera au piano. Ruben Rogers et Greg Hutchinson formeront la section rythmique.»

Elle est déjà loin derrière nous l'époque de la découverte de ce musicien qui n'est plus un jeune loup. Dans nos perceptions, le fils de feu Dewey Redman (longtemps sideman auprès de Keith Jarrett) aurait pu rester le simple gagnant d'un concours... Nenni.

Joshua Redman a eu tôt fait de dépasser l'étudiant brillant qu'il fut, pour ainsi maîtriser le médium jazzistique et ainsi se tailler la réputation qu'il a désormais. «Lorsque je suis devenu professionnel, confie-t-il, je n'aspirais pas tout à fait à la carrière de jazzman, cet engagement n'était pas celui d'une existence entière. Il n'y avait pas de gravité dans mon choix, ce n'était pas crucial. Peut-être une manière inconsciente d'éviter l'imitation de mon père? Dewey Redman ne m'avait pas élevé, je n'ai pas grandi avec lui. Il ne m'est jamais venu à l'idée de suivre ses pas.

«En revanche, mon ouverture au côté ludique de l'expression jazzistique a joué en ma faveur. Même si ce que je voulais faire dans la vie au début de la vingtaine ne correspond pas à mes aspirations d'aujourd'hui, j'ai tenu à préserver cette innocence.»

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Dans le cadre de la série invitation, Joshua Redman se produit samedi et dimanche, 18 h, au Gesù. Le troisième sera présenté lundi, 21 h 30, au Théâtre Maisonneuve.