Le 30e Festival de jazz a été lancé de belle façon mardi soir par Stevie Wonder. Deux heures et demie d'une musique souvent festive, la plupart du temps inspirée, sous la direction de monsieur Wonder lui-même, chanteur, pianiste, chef d'orchestre et de chorale et animateur de foule à ses heures.

La pluie qui s'est mise à tomber une heure et demie avant le début du concert avait à toutes fins utiles cessé quand la vedette de la soirée est arrivée sur scène, un peu avant 22h. Les gouttelettes perdues qu'on a reçues par la suite n'ont pas empêché la foule massée sur la Place des festivals, devant la scène installée un peu au nord de la rue Ste-Catherine, de jouir pleinement de la musique de Stevie Wonder et ses 14 musiciens et choristes, dont sa fille Aisha Morris. Plus au nord, sur Jeanne-Mance tout près de Sherbrooke, le volume de la musique n'était toutefois pas suffisamment élevé pour que la foule compacte soit vraiment dans le coup pendant les moments plus calmes en début de spectacle.

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Très jeune, Stevie Wonder a pris le contrôle absolu de sa carrière en faisant à sa tête. Cela l'a très bien servi, particulièrement dans les années 70 où il a produit quatre albums et quantité de chansons qui logent depuis au panthéon de la musique de qualité, tous genres confondus. Il a joué quelques-unes de ces immortelles hier, dont Higher Ground, l'afro-cubaine Don't You Worry 'Bout a Thing et l'irrésistible Superstition. Il a chanté ses ballades des années 80 (Overjoyed, I Just Called To Say I Love You) mais nous a aussi servi coup sur coup trois succès du Little Stevie Wonder à peine sorti de l'adolescence (Signed, Sealed, Delivered I'm Yours, Uptight (Everything's Alright) et For Once in My Life) qui ont fait danser même les plus réservés des spectateurs.

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Plus fort encore, il a livré une version magnifique de All Blues de Miles Davis, en profitant pour remercier le festival montréalais de lui avoir décerné son Spirit Award, un bronze inspiré d'un autoportrait du grand Miles. Le public, conquis, a applaudi à tout rompre le souffle et l'énergie de Wonder qui venait de nous gratifier d'un solo d'harmonica chromatique d'anthologie. L'instant d'après, «juste pour le plaisir», il nous a transportés en Espagne, jouant le thème du Concierto de Aranjuez, prélude à la très belle Spain de Chick Corea, enrichie de solos de toute la bande, des cuivres aux guitares en passant par les claviers et les percussions. Très fort!

Wonder a passé rapidement sur trois chansons de son chef-d'oeuvre Songs in the Key of Life qui auraient mérité mieux qu'un pot-pourri: Sir Duke, I Wish et Isn't She Lovely. D'autant qu'une bonne vingtaine de minutes du concert a été consacrée à Michael Jackson, à qui Stevie Wonder tenait à rendre hommage.

Il était de mise que Wonder amorce son concert en chantant I Can't Help It, qu'il a lui-même écrite pour Jackson. Qu'il dénonce ceux qui médisent sur le compte de son ami disparu et qui vont s'enrichir ce faisant, rien de plus légitime. Quand, plus tard, il s'est mis à faire jouer des enregistrements de Jackson (Shake Your Body (Down To the Ground),  The Way You Make me Feel), pendant lesquels les musiciens sur scène se contentaient de taper des mains, c'était un peu inusité, certes, mais avec Stevie Wonder, c'est à prendre où à laisser. Cette liberté qui nourrit la créativité de l'artiste, et qui l'autorise à plonger dans Michelle des Beatles ou à faire chanter à la foule une chanson inconnue aux couleurs arabisantes qui sera de son prochain album, est aussi source d'excès.

Toutefois quand, en toute fin de spectacle, Wonder et ses musiciens se sont plantés comme des piquets à l'avant de la scène pendant qu'on nous faisait entendre une autre dizaine de minutes d'extraits d'enregistrements de l'ex-propriétaire de Neverland, ce fut juste trop. Un anti-climax brutal après une soirée magique qui s'était magnifiquement terminée sur l'inspirante Always et l'enchaînement de chansons énergiques qui l'avaient précédée.

C'est à ce moment précis que la pluie s'est mise à tomber plus fort que jamais auparavant. Peut-être que là-haut, Michael et ses nouveaux amis trouvaient eux aussi l'exercice longuet et inapproprié.