Le sentier s'est transformé en voie principale. La chanteuse Karen Young et le bassiste Éric Auclair, tous deux compositeurs et improvisateurs de renom, ont uni leurs cultures musicales et leur bagage générationnel respectif au service de chansons vibrantes et engagées. D'un projet parallèle initié en 2005, Electro-beatniks est devenu une priorité en 2009. En témoigne ce premier opus, dont la sortie est prévue mardi.

Karen Young est une créatrice insatiable: une fois de plus, elle investit un nouvel univers. Après avoir fréquenté le jazz moderne, après avoir adapté les musiques du monde et la chanson d'auteur à son répertoire des plus singuliers, après avoir mené cette actualisation de l'ars nova, superbe voyage aux origines de la polyphonie, la voilà plongée dans l'environnement numérique.

 

Est-il besoin d'ajouter que les nouvelles technologies y sont plus qu'un complément à la voix humaine et à ces «vieilles» machines que sont basse et contrebasse. De concert avec le bassiste Éric Auclair, donc, la chanteuse anglo-québécoise a entrepris de se concentrer sur le présent. Et le saisir à bras-le-corps.

«J'ai proposé cette collaboration à Karen alors que je remplaçais Norman Lachapelle, à l'époque de son album La couleur du vent, raconte le complice de la chanteuse. Déjà, dans le cadre de ses concerts, nous présentions des duos qui fonctionnaient vraiment bien. Or, dès l'âge de 12 ans, j'avais été un fan du duo Karen Young/Michel Donato! Il m'est venu l'idée de lui proposer ce duo. On a commencé tranquillement, on a fait des soirées-bénéfices, puisque que Karen est engagée dans différentes causes humanitaires.»

Nouveau répertoire

La chanteuse n'allait donc pas à la rencontre d'un bassiste exclusivement versé dans la chose jazzistique. Issu de la génération qui suit la sienne, Éric Auclair manifeste une sensibilité pour une autre culture musicale, qui inclut d'emblée la musique électronique.

«J'étais ouverte à l'électro, mais je n'y connaissais rien. Je me suis dit O.K., ce pourrait être intéressant pour un nouveau répertoire, car il y a beaucoup de choses que je voulais exprimer sur ce que je vivais au présent. C'était en 2005, soit au milieu de l'ère Bush. Et je ne voulais pas m'échapper dans le Moyen Âge comme je le faisais avec mon projet précédent (Âme, corps et désir); je préférais parler d'aujourd'hui dans ce nouveau contexte.

«J'ai d'abord pensé choisir des poèmes déjà existants, comme celui de Wilfred Owen sur un soldat de la Première Guerre mondiale. Or, Éric m'a suggéré de chanter mes propres textes, ce que je n'avais pas fait depuis l'album Nice Work If You Can Get It, en 1997.»

Dans un premier temps, Karen Young a débusqué des rimes qu'elle avait rédigées au cours des années 80, après quoi, elle a commencé à écrire sur les nouvelles propositions sonores de son collègue.

« Je voulais surtout mettre de l'avant la femme que je connais; c'est pourquoi j'ai insisté afin qu'elle exprime dans ses mots ce qu'elle vit en tant que personne, plutôt que de miser exclusivement sur sa virtuosité vocale. Je voulais mettre en relief sa fragilité, sa tendresse, tout l'amour qu'elle peut offrir, son engagement citoyen. Évidemment, cela n'excluait pas sa virtuosité. Karen Young reste Karen Young.»

Ainsi, le duo s'est progressivement construit durant différentes séances d'improvisation. «Éric me proposait des environnements sur lesquels j'improvisais des mélodies en récitant mes textes. Un peu à la manière des poètes beat, ces chansons ont pris forme», raconte la chanteuse, qui insiste sur le caractère organique de la démarche.

Mystic Sky, Circle of Seasons, Children At Play, Promised Land, A Riddle... Ces titres évocateurs illustrent bien la rencontre de la contre-culture hippie, dont Karen Young est issue, et de la culture numérique, propre à la génération d'Éric Auclair - ce qui n'exclut en rien les valeurs progressistes dont se réclame son aînée.

«Il y a moins de sons synthétiques qu'il n'y paraît à la première écoute de cet album, tient à préciser le musicien. En fait, la plupart des sons échantillonnés proviennent de la basse ou de la contrebasse. Sur scène, la majorité de ces sons sont produits et traités en temps réel, j'en superpose les boucles pour ainsi créer un effet orchestral.»

Ce qu'il s'en passe des choses dans ces têtes d'électro-beatniks!