Un autre retour de Beau Dommage? Rassurez-vous. Ce n'est qu'une anthologie. Qui, en principe, devrait clore le sujet pour de bon.

Prétextant le 35e anniversaire de son premier album, l'ancien groupe-le-plus-populaire-du-Québec lance cette semaine un coffret de cinq CD et deux DVD qui «rapaille» tous les morceaux - ou presque - de son patrimoine, incluant des vieilles émissions de télé et des morceaux inédits qui dormaient depuis 30 ans dans les fonds de tiroir. Bien bonne nouvelle, en ce qui nous concerne. Hormis un CD de grands succès et la réédition «botchée» du premier album lancée en 2004, les vieilles tounes de Beau Dommage était devenues assez difficiles à trouver.

Bien sûr, les Ginette, Châteauguay, Picbois et autres phoque en Alaska continuent de jouer à profusion à la radio. Ce sont les classiques. Mais qui se souvient de Seize ans en soixante-seize, Contre lui, Hockey et Rouler la nuit? Sauf erreur, ces chansons moins connues, tirées des disques Un autre jour arrive en ville (1976) et Passagers (1977) n'avaient été rééditées que temporairement au début des années 90...

Profitant d'un bénéfique changement de gérance (de Spectra à Musinfo) Beau Dommage a donc décidé de remettre toutes ses chansons en circulation. Occasion de revenir sur cette oeuvre en deux temps (quatre albums entre 1974 et 1977, un autre album en 1994) avec Robert Léger et Michel Rivard. Où il sera question de Donald Lautrec, des Kinks, de rock progressif et d'une « courbe descendante » menant à la fin d'une époque...

La Presse : Il y a cinq ans, Capitol a relancé votre premier album en CD. Le résultat était lamentable. Cette fois, le projet est venu de vous...

Robert Léger : Oui. Et c'était fructueux pour EMI qu'on s'implique. Ça leur a coûté le technicien de son, le graphiste et quelques milliers de dollars pour mettre ça ensemble. Mais Beau Dommage a fait le gros du travail complètement gratuitement. Rechercher des tapes à gauche pis à droite. Réécouter. Choisir les meilleures versions. Corriger les textes. Trouver des photos. On s'est tous répartis la tâche.

Q. Vous avez rajouté quelques pièces inédites assez anciennes, comme Disneyland ou Quand c'est l'matin. Est-ce que ça fait le tour de vos fonds de tiroirs?

Michel Rivard : Je te dirais qu'il reste des petites affaires. Mais les affaires qui restent ne valent pas la peine d'être entendues. On a eu des discussions là-dessus et on s'est entendus, à la majorité, que si ça avait une pertinence, oui, mais sinon, non. Ya des chansons qui avaient été enregistrées en démo mais qu'on n'aimait pas. On ne les a pas mises.

R.L. : Quand c'est l'matin et Disneyland font partie de la vingtaine de chansons qu'on jouait en 1973-74 et qu'on n'a pas gardées sur le premier disque parce que dans les temps des vinyles, on avait un maximum d'espace. Il fallait faire des choix. On avait trop de chansons. On en avait d'autres, des plus bizarres. Mais on a pas tout enregistré. On n'enregistrait pas si souvent. Dans ce temps-là, ça coûtait trop cher! Je me souviens d'une chanson sur Léo Dion, un texte de Pierre Huet sur un pédophile de la région de Québec! Il y avait une chanson qui s'appelait Psychologie, sur le courrier du coeur. Il n'est rien resté de ça. On a dû les faire une couple de fois en spectacle. On faisait même une toune de Claude Dubois qui s'appelait depuis que je suis né.

Q. Vous avez dû raconter la genèse de Beau Dommage des millions de fois.

Mais c'est un bon moment pour y revenir. Ça a commencé comment, tout ça?

MR : Tout est parti de la Quenouille Bleue, le collectif de théâtre dont Pierre Huet, Robert Léger et moi on faisait partie On avait beaucoup de point communs dans nos goûts musicaux, notamment Ray Davies des Kinks, la chanson québécoise et les Beatles. Vers 1972 on a commencé à écrire des chansons. Montréal, Châteauguay, Ginette... On est allé les offrir à Donald Lautrec qui venait de faire l'album Fluffy. On trouvait que c'était un bon disque. Il nous a dit : écoutez les gars c'est des bonnes tounes, mais je ne fais plus de musique. Je m'en vais dans la production télé. C'est là qu'on s'est dit : pourquoi on ne les chanterait pas, nous?

RL : Le problème, c'est que Michel ne se voyait pas comme un chanteur principal. Il disait qu'il avait une voix de « freak ». Alors on est allés chercher Pierre Bertrand, qui jouait de la basse et trippait sur les harmonies vocales. À mon avis, le groupe a commencé à exister quand Pierre est arrivé. Ensuite, on a passé des auditions pour une troisième voix. Avec Marie Michèle, c'est devenu du Beau Dommage pur.

Q. Les harmonies vocales, c'était une de vos marques de commerce dès le début?

MR : Les harmonies, et aussi les textes tirés du quotidien. Ça, c'était une volonté. Tout cet aspect-là nous venait des Kinks. Ray Davies avait fait plein de chansons sur la vie quotidienne à Londres, et ça nous inspirait. C'était un peu en réaction avec la chanson québécoise de cette époque-là, qui était axée sur les grands espaces et le Pays. Depuis En veillant su'l perron dans les années 50, y avait pas vraiment eu de chansons sur les rues de Montréal, les ruelles, les ti-culs ou l'air de Montréal. C'est vraiment une mission qu'on s'était donnée...

RL : Oui. L'hyperréalisme. C'était notre vision esthétique. Ce n'était pas de l'art naïf, comme on pouvait nous le reprocher. C'était des polaroïds du réel...

Q. Et le nom de groupe, il est venu comment?

R.L. Si je me souviens bien, c'était une expression dans l'émission le Survenant. Un des personnages, son patois c'était «Beau Dommage». Ça voulait dire «Mets-en que...». C'était pour renforcer une affirmation. «Beau dommage que j'ai de l'argent! J'arrive du chantier!»

M.R. : On voulait quelque chose de québécois. On se libellait rock québécois et on voulait que ça sonne comme ça. Me semble qu'on a roulé un moment sous le nom de L'été des Indiens. Mais finalement, c'est Beau Dommage a gagné.

Q. Le groupe s'est formé en 1972. Comment a vécu Beau Dommage jusqu'à son premier disque?

M.R. : On a trouvé un batteur, Réal Desrosiers. On a fait plein de shows dans le circuit des cafés à Montréal. On avait notre public. .

R.L. : Tout ce que je sais, c'est qu'on voulait faire un disque. On a fait un démo et on l'a envoyé à toutes les maisons de disques québécoises. On tenait à être avec une compagnie québécoise. Mais elles ont toutes refusé, sans l'ombre d'un doute! Je m'en rappelle, c'est moi qui avais la job de faire le suivi. On me disait: c'est pas ben bon votre affaire. On voit ce qu'on pourrait faire avec ça. Continuez à travailler. On était démoralisés. Finalement, c'est Capitol qui nous a signés. Une multinationale...

Q. Le succès du premier album a été foudroyant. 150 000 exemplaires vendus en moins d'un an (400 000 à ce jour). Vous attendiez-vous à un tel succès?

R.L. : D'estime peut-être. Mais pas populaire. ..

M.R. : On s'était fixé un objectif de 15 000 exemplaires! On s'était dit on va rejoindre les gens de notre âge, la gang de Montréal. En arrivant à Dolbeau, on a été pas mal surpris de voir des jeunes courir après notre autobus!

R.L. : On n'avait pas mesuré le charme musical que ça avait. Ni prévu que ça toucherait autant de générations...

M.R. :Ce que je sais, c'est qu'après ça, c'est allé très vite. Après la sortie du disque, tout ce dont je me souviens c'est d'être dans Beau Dommage, jouer de la guitare, avoir peur, rentrer chez nous pis répondre à des appels de gens que je connais pas et qui me disent qu'ils aiment ce qu'on fait!

R.L. : C'était plus violent qu'on pensait. Mais on ne s'est pas mis à avoir des tonnes de groupies dans les loges. Nous, c'était des ti-culs de 14 ans qui voulaient qu'on leur montre les accords des chansons. C'était presque décevant!

Q. Votre deuxième album (Où est passée la noce?) sort à peine un an plus tard. L'avez-vous fait dans le même esprit?

R.L. : Plus lousse. Avec plus de budget. Plus de temps. On pouvait essayer des affaires. Expérimenter en studio.

M.R. :Moi j'ai de la misère à les dissocier les deux. Les chansons ont été composées à la même époque, dans le même élan. Il y en a même qui avaient été composées avant le premier album. Motel Mon repos, le Blues de la métropole , Un incident à Bois-des-Filion...

Q. Un Incident à Bois-des-Filion est votre grande chanson, dans tous les sens du mots : elle dure 20 minutes! Ce « morceau de bravoure », c'était une façon de répondre ceux qui vous accusaient d'être trop simplistes?

R.L. : Il y avait peut-être un peu de ça. Dire : on est capables nous autres aussi. On n'est pas si gnochons ou naïfs que ça.

M.R. : C'était du rock progressif, mais sans virtuosité. Pour la moi la fierté est dans l'écriture. Huet est arrivé avec un long texte divisé en trois parties. Pierre, Robert et moi on s'est séparés la chanson, on est partis chacun de notre côté et on a composé sans se parler. Quand on a mis les bouts ensemble, ça a marché. Ça montre à quel point, à cette époque, on s'en allait tous dans la même direction.

Q. Après la «Noce», Robert cesse de jouer avec le groupe et compose en coulisse. Pour quelle raison?

R.L. : J'étais juste tanné des spectacles. On était à l'orée d'une tournée française. On voulait nous faire rester huit mois dans l'Hexagone. J'étais dans une lignée pro-Québec. Je n'étais pas prêt à tout faire pour une carrière française! C'est comme ça que Michel Hinton est rentré dans le band. Je ne l'ai pas regretté. Je me suis mis chum avec Paul Piché. J'ai réalisé son premier album.

Beau Dommage (1974)

Q. Vos deux premiers albums étaient gavés de tubes. Mais votre troisième microsillon (Un autre jour arrive en ville) ne compte qu'un seul succès (Tout va bien). Qu'est-ce qui s'est passé?

M. R. : On était moins nouveaux, j'imagine. On est devenus peut-être un peu plus personnels. Avec le premier, on rejoignait beaucoup de monde avec une certaine enfance, une certaine adolescence. Rendu au troisième, ce sont des chansons plus adultes. Je pense qu'il y a une innocence qui se perd.

R.L. : On avait le goût de parler de nous, de ce qu'on vivait. C'était la grande époque en Californie, de la chanson intime et auto-confessionnelle. On était dans cette mouvance-là. Pas mauvais album. Mais est-ce que t'as besoin de Beau Dommage pour chanter ça? Pas certain...

M.R. : Ce que je sais, c'est qu'on n'a jamais aimé ce disque sur le plan sonore. On avait tout enregistré live, dans notre studio. Il y avait une énergie. Mais rendu sur le plastique on a été très déçus (ndlr : le disque a été totalement remixé pour le coffret). Il s'est aussi moins vendu. Peut-être 80 000 exemplaires. Il faut être franc : quand tu regardes notre succès commercial dans les années 70, il y a une courbe descendante. Mon explication, par rapport à cette courbe là, c'est qu'à un moment donné, les jeunes n'avaient pas le goût d'aimer le même groupe que leurs parents... mais... c'est peut-être aussi que c'était rendu moins bon.

Q. Pour vous c'était l'apprentissage des moments creux...

M R. : Pas tant que ça. On est partis en Europe on a travaillé avec Julien Clerc. On avait du fun musicalement. Le moment creux ça a été après l'album Passagers en 1977. Là on a eu de la misère à remplir nos salles.

R.L. : C'était pourtant un meilleur album que le précédent. Plus focussé. Plus homogène. Moins nombriliste.

M.R. : Il y avait peut-être moins d'étincelles. Mais il y a des trucs plus subtils. Pour moi, Rouler la nuit est une chanson extraordinaire. Le voyageur, de Robert Léger... On en était très fiers. Qu'il se vende moins et que les salles ne se remplissent pas, ça a été dur. Il y a eu un moment d'incertitude qui, je pense, a accéléré la fin.

Q. Ajouté au fait que Michel venait de lancer son premier album solo?

M.R. : J'ai fait Passagers avec la même bonne foi que les autres disques. Mais c'est sûr que, veux veux pas, une porte s'était ouverte pour moi. Après la dernière tournée en France, j'ai décidé de rester à Paris.

Q. Aviez-vous conscience que ça sonnait le glas du groupe?

M.R. : Oui mais en même temps, rendus là, on n'aurait pas su quoi faire. On avait besoin tout le monde d'aller voir ailleurs si on y était. Je me souviens qu'on a fait un show à Plantagenêt à la frontière de l'Ontario on avait averti nos amis que c'était le dernier. C 'était un petit peu tristounet.

Un autre jour arrive en ville (1977)

Q. Le retour de 1994, c'était une façon de finir ça en beauté?

M.R. : Il y a de ça, beaucoup. On était conscients qu'on avait laissé quelque chose en suspens et que là, la conjoncture était parfaite..

R.L. : On voulait voir si on pouvait retravailler ensemble. Le but n'était pas de boucler la boucle. Le deal, c'est : on fait un album. Si ça se vend bien on fait une tournée. Mais après, c'est tout. Pas question de faire un autre disque

Q. Alors on peut dire que ce coffret, ça ferme les livres pour Beau Dommage?

M.R. : Ça faisait partie de la décision de le faire. C'est clair qu'il n'y aura pas de retour. Personne ne veut retourner en tournée. Personne ne veut retourner en studio. C'est quelque chose qu'on a fait qu'on a bien fait. Il y aura peut-être un livre, mais pour la musique, on arrête là....

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L'album de Famille

Beau Dommage

EMI


La nouvelle saison (1994)