Le trio postrock instrumental montréalais Torngat a lancé récemment La Petite Nicole, un deuxième album studio songé, hypnotique, mais abrasif, qui ne s'embarrasse plus des fastes arrangements de cordes.

Le hasard fait drôlement les choses. Le même jour où paraissait La Petite Nicole (sur étiquette Alien8) était aussi lancé As Seen Through Windows, troisième disque du Bell Orchestre, un autre groupe instrumental montréalais qu'on a souvent comparé à Torngat. Comparé à tort, jugeons-nous: bien qu'ils partagent un même musicien (le cornettiste Pietro Amato, qui joue aussi sur scène avec Arcade Fire), les influences musicales qui animent ces deux orchestres divergent, encore davantage depuis la sortie simultanée de leurs albums respectifs.

 

Là où Bell Orchestre tapisse ses compositions de dynamiques envolées de cordes et de cuivres, Torngat exploite les ressources de trois instrumentistes distincts - Mathieu Charbonneau aux claviers, Julien Poissant à la batterie et Amato aux cuivres, tous manipulent aussi divers instruments électroniques.

Ici, la nécessité est mère de l'invention: sur La Petite Nicole, le groupe trafique, triture ses instruments, extirpe des sonorités hargneuses, fabrique des atmosphères intrigantes qui donnent à l'album tout son souffle.

«Lorsqu'on parle de rock instrumental, on pense souvent à quelque chose de «cinématographique», poursuit-il. En tout cas, quelque chose de planant, avec des violons... Or, on voulait faire un album plus rock parce que nos concerts sont plus puissants. On joue davantage comme un groupe rock.»

Ce qui n'a pas manqué d'étonner une partie de leurs fans, qui avaient découvert le groupe avec You Could Be, premier album paru après deux EP, nettement plus orchestrés - «chill», comme le qualifie Charbonneau -, avec arrangements de trompette et synthés. En concert, Torngat montre les dents.

«Ça ne nous tentait plus de jouer comme ça. On a acheté des amplis plus gros. La batterie de Julien a grossi. Les gens sont un peu étonnés lorsqu'ils viennent nous voir en concert...» Le claviériste se demande, à la blague, si quelqu'un du Festival de musique de chambre de Montréal les avait entendus récemment avant de les inviter à jouer lors de la 14e présentation de l'événement, début mai!

Torgnat, musique de chambre? Ne cherchez pas trop loin. D'abord, les trois musiciens ont tous une formation académique et classique: le Conservatoire en piano pour Mathieu, l'Université Concordia pour tous, des cours de composition, de jazz, d'enregistrement, d'électro-acoustique, etc. Ensuite, la richesse de La Petite Nicole est dans les détails: le raffinement des compositions, la minutie des arrangements, modernes, avant-gardistes, exploratoires.

Enregistré dans la maison de campagne d'un mécène, le disque s'est bouclé en une douzaine de jours en octobre dernier, juste avant une série de concerts prévus en Europe. Assez court - 38 minutes -, La Petite Nicole se laisse écouter comme si on nous racontait une histoire. Ce qui n'est pourtant pas tout à fait exact.

Explication: «Nous n'étions pas partis pour faire un album-concept. D'ailleurs, le terme nous rebute: on craignait un tel résultat et, surtout, on ne voulait pas que le «concept» nous limite sur le plan de la composition. Si on compare avec nos autres albums, je crois que c'est le plus homogène. Or, c'est Julien qui a eu l'idée de La Petite Nicole, en chantant deux phrases (sur la chanson-titre). On trouvait ça cool. C'est en cherchant les titres des chansons qu'on s'est imaginé une journée dans la vie de cette petite fille qui s'appelle Nicole.»