Couronnée aux dernières Francouvertes, La Patère rose lâche son fou sur un premier album. Idées rock, poussées électropop, piano classique, poésie, déclarations coquines et chanson nostalgique, le très jeune trio pige à droite et à gauche, met tout dans le même sac et crée des morceaux ludiques et étonnants.

Capter l'attention du public et la conserver, c'est le défi énorme auquel est confronté un groupe qui participe à un concours comme les Francouvertes. Soit le courant passe, soit il ne passe pas. Or, en mai dernier, on aurait pu entendre une mouche voler quand La Patère rose a terminé sa courte prestation avec Backyard Souvenir, une chanson dépouillée, trempée dans la mélancolie, à laquelle Fanny Bloom a prêté toute sa fragilité.

 

La Patère rose a remporté les grands honneurs, ce soir-là. En plus de finir en tête du classement, le trio formé de Fanny Bloom (voix, piano, orgue, etc.), Roboto (claviers, programmation, etc.) et KiloJules (batterie, scratch, percussions, etc.) a reçu le prix de la meilleure chanson. Pour Backyard Souvenir, justement. Avec la sortie de son premier album, on a désormais la conviction que cette victoire ne sera pas de celles qui sont sans lendemain.

Fanny Bloom a fait du piano classique pendant 10 ans et des études collégiales en lettres. Ça s'entend, notamment dans Chamord-sur-mer-l'épilogue. Roboto et KiloJules, aussi du groupe Misteur Valaire, se sont imprégnés de jazz depuis l'adolescence. Ça ne s'entend pas vraiment. «On ne peut pas dire qu'on est des jazzmen, admet KiloJules. Pas pantoute.»

Ce trio inusité a pris forme au Cégep de Sherbrooke. Inusité parce que, à l'époque, la chanteuse donnait dans un style plus chansonnier et qu'on se demande bien quelle mouche a bien pu la piquer pour qu'elle ait envie de s'acoquiner avec des gars qui tripaient sur les claviers et les machines. «On tenait tous à ce qu'on faisait individuellement, mais on aimait aussi ce que les autres apportaient», résume-t-elle.

Au contact des deux autres, son écriture s'est affinée. Fanny Bloom estime que ses textes sont devenus «plus courts», «plus imagés», et sa manière, «plus personnelle». «Avant, il fallait toujours que le piano soit bien intense à la fin et que je sois en train de pleurer sur ma vie», dit-elle avec une pointe d'autodérision.

Le goût du jeu

La Patère rose demeure bien sûr un véhicule pour partager ses états d'âme. Sauf qu'on ne peut réduire ce groupe porté sur les envolées rythmiques à ses chansons les plus nuageuses. Son album éponyme témoigne d'un évident goût du jeu. «Dans le sens de théâtral?» s'inquiète la chanteuse. Pas vraiment, non. Fanny Bloom n'en fait jamais trop, même quand elle se montre exubérante. «Je ne veux pas être étiquetée théâtrale», avoue-t-elle, rassurée.

«On joue ensemble, c'est ça qu'on fait au fond. Il faut qu'il se passe quelque chose quand on est sur scène», poursuit la jeune chanteuse. Ses éclats de voix et les bidouillages sonores concoctés par ses partenaires confèrent à La Patère rose un côté gamin déluré, qui transparaît également dans la façon d'aborder le désir. Dans Décapote, la chanteuse s'écrie gaiement: «Si tu montes, je monte, te monte!» Inutile de faire un dessin. «Ma belle-mère m'a appelée pour me dire que j'étais cochonne sur le disque!» s'amuse-t-elle.

Fanny Bloom n'y voit rien de mal. Elle trouve qu'il y a quelque chose de «l'fun» et de beau dans le fait d'avoir envie de quelqu'un. «On te pousse à ça», ajoutent KiloJules et Roboto, qui trouvent qu'un élément de tension sexuelle ne nuit jamais à un spectacle. Elle acquiesce, mais précise qu'elle n'a pas l'intention de forcer la note.

Elle a visiblement envie de se montrer plus physique sur scène, ce qui ne veut pas dire qu'elle veut montrer plus son physique. Fanny Bloom adore la chanteuse française Camille, une artiste de scène qui ne connaît pas la retenue. «C'est là que j'ai compris qu'il était possible de faire autre chose, que je pouvais faire n'importe quoi, que tout était ouvert, dit-elle. Quand tu t'assumes, c'est sans limites.»