Comment Émilie Proulx fait-elle pour que les mots «beige», «gris», «nage synchronisée» ou «Tercel» deviennent beaux, comme c'est le cas sur son nouvel album, La lenteur alentour, en magasin mardi, trois ans après la sortie de son mini-album réussi, Dans une ville, endormie. Bonne nouvelle : la jeune auteure-compositeure québécoise qui évoque Joni Mitchell (citée sur son t-shirt!) et Neil Young au nombre de ses influences chante toujours aussi bien la mélancolie... mais aussi un tout, tout, tout petit peu l'espoir.

D'accord, le nom d'Émilie Proulx n'est pas le plus connu en ville. Et rien n'est plus éloigné de l'univers glamour que sa discrète silhouette à lunettes et à guitare. Et pourtant, la jeune chanteuse compte un nombre grandissant d'admirateurs, touchés par sa grâce un peu maladroite, sa voix grave nichée au fond d'un long cou et surtout ses chansons qui parviennent à exprimer un peu d'indicible, sur des musiques magnifiquement sombres. Des chansons qui parlent d' «avoir des rêves à payer», qui remarquent que « presque partout, le conformisme sourit dans le vide», qui chantent «Je me sens vraiment, vraiment touriste, dans ma propre vie»...

 

C'est vrai, c'est triste sans bon sens. Mais c'est fou comme ça fait du bien, entendre ces mots qui collent parfaitement à certains états d'âme. Et disons qu'on est à des années-lumière de la sempiternelle chanson d'amour...

Émilie Proulx est un peu effarée quand on lui fait remarquer tout cela. Un peu effarée, mais capable d'en prendre, comme elle l'a démontré sur la scène du Cabaret Juste pour rire en janvier dernier : hormis deux morceaux du mini-album, la jeune femme de 28 ans, ex-étudiante en basse jazz, ex-horticultrice, ex-professeur d'informatique, ex-vendeuse, a interprété avec aplomb neuf nouvelles chansons inconnues. Attentif, le public a goûté chacune d'entre elles, applaudissant chaleureusement les longues plages musicales (gracieuseté de ses quatre bien bons musiciens) et l'interprétation sentie de la jeune femme.

Ce même public a aussi découvert qu'Émilie Proulx a beaucoup d'humour entre ses chansons : «Je pense que ça a soulagé tout le monde quand on m'a entendu rire entre deux chansons graves, dit-elle avec un joli sourire. Mais c'est moi aussi, la dérision; c'est aussi important dans ma vie que ma mélancolie légendaire, ajoute-t-elle avec un brin d'ironie. Seulement, c'est vrai que, lorsque j'écris, c'est plutôt la tristesse et l'incertitude qui m'inspirent. Je ne sais pas pourquoi, j'écris des choses qu'on ne dirait pas au premier venu, mais que je chante à tout le monde...»

 

L'espoir de passage

Comme elle l'avait fait pour son mini-album, Émilie Proulx signe non seulement textes, paroles et pas mal d'arrangements, mais aussi la réalisation, tout en cosignant le mixage et la prise de son de La lenteur alentour : «D'abord parce que je m'enregistre beaucoup pendant que j'écris : mon studio est dans ma chambre, ça me convient comme façon de fonctionner! Il n'y a que trois des 10 chansons de l'album qui ont été faites entièrement dans un « vrai « studio, avec tous les musiciens. Sinon, toutes les autres comprennent des pistes enregistrées chez moi, par moi, sur laquelle j'ai ajouté des choses enregistrées par des musiciens invités, des voix. C'est comme si la réalisation était pour moi un autre instrument, comme si j'écrivais avec cet outil qui me permet de mettre l'accent sur tels mots ou telle phrase.»

Au moment de la sortie de son mini-album en 2007, Émilie Proulx avait donné exactement un spectacle dans sa vie. Près de trois ans plus tard, elle est plus aguerrie, plus sûre d'elle : «En fait, dit-elle en riant, je n'ai pas nécessairement plus confiance en moi, mais j'ai confiance dans mes goûts musicaux, je sais quand j'aime une chanson ou pas. Sur l'album, j'ai repris la chanson Say Something Now de Stuart A. Staples (du groupe britannique Tindersticks) parce que c'est une chanson que j'aime depuis que je l'ai entendue il y a deux ans. Et pour la chanson Toute seule, j'ai choisi de l'enregistrer simplement voix et banjo pour explorer le côté plus folk, celui que j'aime dans les disques de Neil Young. Pour Demain peut-être, qui est très country-folk, je me suis servie d'arrangements à la Iron & Wine, mais avec un «picking « de guitare traditionnel très Bob Dylan...»

Qu'on ne se méprenne pas : Émilie Proulx ne se complaît pas dans la mélancolie. « Les chansons les plus récentes sur l'album vont d'ailleurs vers autre chose, fait-elle remarquer. Prends une chanson comme L'espoir de passage. On y trouve le mot espoir... OK, les mots «de passage» aussi, convient-elle en riant. Ce que je veux dire, c'est qu'on vit tous certains états de tristesse profonde, mais que ces états ne durent pas 24 heures sur 24. Ce que j'essaie d'écrire, ce sont ces états pendant que je les vis, mais ce n'est qu'une partie de ma vie. Il existe aussi du réconfort. Passager peut-être, mais aussi réel.»

Lors du spectacle de janvier, Émilie Proulx a interprété toutes les chansons de La lenteur, alentour. Toutes sauf une, soit la chanson Juste un moment, qui clôt l'album. Une chanson où il est question de la mort d'un proche qui vient tout bouleverser : «Je crois qu'elle vient relativiser toutes les questions que je me pose dans les autres chansons. J'ai hésité à écrire cette chanson, elle est très personnelle, très intime... Elle est très courte. Et elle est suivie du silence. Parce que c'est une chanson écrite sur le «pas de mots» qu'on ressent, parfois...»

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Émilie Proulx

La lenteur alentour

La Confiserie/GSI Musique, Select.

En magasin et en distribution numérique dès mardi.