Bien au-delà du Buena Vista Social Club, dont les principaux membres sont presque tous disparus, le troisième âge peut toujours compter sur des artistes de talent. On l'a constaté, leur résurrection professionnelle réjouit à coup sûr les férus de musiques du monde. Le dernier en lice se nomme Puerto Plata, ce sympathique pépé compte établir contact dès ce soir avec ses fans montréalais.

Jose Manuel Cobles, alias Puerto Plata, est installé au Colorado depuis 14 ans. Il y vit près de ses petits enfants expatriés comme lui. Son île, il la chante en souvenirs qu'il conserve intacts, c'est du moins ce qu'on déduit à l'écoute de son CD, Mujer de Cabaret. Après tout, le sonero a quitté la République dominicaine alors qu'il était septuagénaire!

Que nous vaut donc cette reprise de service à 85 ans?

Benjamin de Menil, le gérant new-yorkais de Puerto Plata, travaillait auparavant avec l'actuel guitariste de l'octogénaire, un spécialiste du style bachata. Un ami de l'imprésario savait l'existence de Puerto Plata, qui coulait des jours paisibles sans envisager quelque retour sur les planches. Benjamin a fini par entendre le vieux chanteur; tombé sous le charme, il a envisagé le produire. Le voilà parmi nous.

«Il est très en forme, on oublie son âge en sa compagnie. Je ne sais pas comment il arrive à voyager et mener toutes ces activités!» soulève de Menil au bout du fil - c'est qu'il traduit en direct notre entretien téléphonique avec Puerto Plata.

«Comment rester en forme? Miel, citron, sel», ricane doucement le chanteur, dont la verdeur rappelle ses éminents prédécesseurs. Prenons sa recette en note!

Ainsi donc, Puerto Plata est un sonero fraîchement extirpé de sa retraite. Depuis des lustres, l'homme a choisi ce style prisé par plusieurs artistes des Antilles hispanophones, un style dont il connaît parfaitement l'histoire.

«On associe la République dominicaine au style merengue (que je pratique aussi) mais le son y a toujours été important. Or, le dictateur Rafael Trujillo qui a régné sur la République dominicaine au siècle précédent (de 1930 à 1961), avait privilégié le merengue en tant que style national. De plus, il interdisait l'existence des studios d'enregistrement, craignant que les styles musicaux non autorisés deviennent des catalyseurs de rébellion. De plus, le frère du dictateur contrôlait plusieurs stations de radio et n'embauchait que des musiciens en direct. À la mort de Rafael Trujillo (il fut assassiné), la musique dominicaine a explosé.»

Le son, aurons-nous saisi, est redevenu une composante fondamentale de la culture musicale dans l'île d'Hispaniola que la République dominicaine partage avec Haïti.

«Il y a beaucoup de similarités entre le son cubain, le son dominicain ou portoricain. Les différences sont minimes. Dans les années 30, 40 et 50, les grands créateurs du genre s'influençaient mutuellement, je pense à Antonio Maria Romeu (Cuba), Rafael Hernandez (Puerto Rico), Bienvenido Troncoso (République Dominicaine). Ces compositeurs légendaires sont toujours influents», explique Puerto Plata.

Bien que le chanteur ait vécu longtemps à Santiago, une ville à l'intérieur des terres, sa famille est originaire de Puerto Plata, d'où ce pseudonyme bien connu des touristes québécois.

Jose Manuel Cobles n'a pas vécu exclusivement de sa musique lorsqu'il habitait Santiago. Il avait un emploi de charpentier pour la United Fruit Company et chantait le soir ou les week-ends, accompagné par son propre ensemble, le trio Primavera. Semi-professionnel, donc, le sonero se produisait dans les clubs de nuit comme dans les événements sociaux - mariages, fêtes privées, etc. Il y reprenait le répertoire connu, auquel il ajoutait quelques chansons originales.

«Ce qui me distingue des autres chanteurs, pense-t-il, c'est le mélange d'influences de voix que j'incarne, deux en particulier : Beny More et Eduardo Brito.»

Et le Buena Vista Social Club? Y a-t-il un risque d'y être trop associé?

«J'ai beaucoup de respect pour feu Compay Segundo et les autres musiciens du Buena Vista, dont plusieurs étaient connus en République dominicaine bien avant la formation du Buena Vista», répond Puerto Plata, qui ne semble pas du tout craindre la comparaison.

Voix d'or, âge d'or... esprit vif!

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Puerto Plata se produit ce soir, 20 h, au Savoy du Métropolis