Anne Sylvestre la soutient depuis ses débuts, elle est la nouvelle protégée de Charles Aznavour, sa professeure de chant est celle de Barbara et le violoniste jazz Didier Lockwood vient de lui composer une musique: mesdames et messieurs, voici Agnès Bihl, auteure-compositrice et interprète parisienne douée. Et en spectacle à Montréal pour la première fois de sa vie, mardi et mercredi prochains.

Dans l'appartement qu'elle a loué pour deux semaines, rue Drolet, Montréal, P.Q., Agnès Bihl parle de tout et de rien. De son amour pour les mots comme du duo qu'elle a écrit pour Grand Corps Malade, de ses trois albums (dont le dernier, Demandez le programme, sera en magasin mardi) ou des quatre chansons inédites qu'elle a mises dans ses bagages pour les créer avec deux musiciens québécois (dont l'excellent Steve Normandin), de son accent de vraie Parisienne («Une espèce en voie de disparition!») comme des bottes d'hiver qu'elle va vraiment devoir s'acheter: elle s'est déjà procuré un polar supplémentaire rue Mont-Royal, est-ce que je pense que ça sera assez pour la tenir au chaud pendant son séjour?

 

Non, je ne le pense pas. Mais je crois sincèrement que, pour ce qui est de tenir au chaud et à vif les spectateurs, Agnès Bihl a vraiment tout ce qu'il faut. Oui, elle a quelque chose d'Anne Sylvestre («Anne m'a entendue chanter dans un tout petit bar, elle a dévalé dans la cave qui me tenait lieu de loge, et m'a dit «c'est génial, ce que tu fais, donne-moi ton numéro de téléphone!»») et de Renaud aussi, qu'elle a beaucoup écouté («C'est vrai qu'on a un peu le même accent: lui aussi, c'est un vrai gosse de Paname»).

Mais il y a autre chose dans ses chansons, que certains ont qualifié d'«hyperréalistes»: «À mes débuts, explique-t-elle, j'étais interprète, et j'avais écrit une comédie musicale sur la grande chanson réaliste, celle de Paris au XIXe siècle: ça s'appelait Pantruche (un autre mot d'argot pour désigner Paris), et on devait être quatre comédiennes à chanter. Finalement, les trois autres sont parties deux jours avant la première! J'ai dû interpréter les 63 chansons du spectacle, disons que ça m'a marquée! Et puis, après, j'ai chanté tout le monde, de Brel à Brassens, en passant par Félix Leclerc» (Agnès Bihl a d'ailleurs remporté le prix Félix-Leclerc, de même qu'un prix de l'Académie Charles-Cros, pour son deuxième album, Merci maman, merci papa, en 2005).

Finalement, elle se met à jouer elle-même de la plume, du stylo, et des amis musiciens, certains du jazz, lui mettent en musique ses textes: «J'ai aujourd'hui une petite centaine de chansons.» Une petite centaine où il est question d'enfants au destin tragique, de diète, d'amour, de maternité (elle est la maman d'une Rosalie de 6 ans), de rires, de coups de gueule... D'inceste aussi, et c'est la chanson Touche pas à mon corps qui a attiré l'attention d'Aznavour: «Il y a un an et demi, je participais aux Nuits des musiciens (grand événement musical à Paris) pour une soirée jazz, ce qui n'est pas mon créneau! C'était le pianiste Jacky Terrasson qui animait la soirée: je commence à chanter Touche pas à mon corps, mais Jacky la prend dans la mauvaise tonalité. Je l'arrête, on recommence... mais le tempo est cette fois trop rapide. Je l'arrête encore, on re-recommence... et ça a été magnifique, ce qu'il a fait. C'est à cause de la chanson, mais aussi à cause de ces deux faux départs et de mon attitude qu'Aznavour m'a remarquée, je crois. Il est venu me dire: «C'est toujours chez les petites bonnes femmes que se cachent les grandes dames.» Et pendant trois mois, ensuite, j'ai fait sa première partie!»

«Comme lui, je suis de l'école de la chanson «à l'ancienne»: j'ai chanté dans les rues, les bars, le métro, j'ai fait les premières parties...» Elle fera cette fois le Studio-théâtre de la Place des Arts. Et elle a hâte. Quand j'ai quitté son appartement, assise dans la lumière d'hiver, Agnès Bihl chantait (au complet!) Le p'tit bonheur de Leclerc...

Agnès Bihl au Studio-Théâtre de la PDA, mardi et mercredi, dans le cadre du festival Montréal en lumière.