Dans le cadre des Rendez-vous gospel, le Jireh Gospel Choir offre un concert vendredi avec Lulu Hugues à l'église Saint-Irénée. Une façon de redécouvrir le quartier Saint-Henri, berceau du jazz et du gospel au Québec, et aussi de célébrer le Mois de l'histoire des Noirs.

Le prochain concert des Rendez-vous gospel coïncide avec le début du Mois de l'histoire des Noirs, qui a pour thème cette année «La passion d'agir, le rêve de construire». Pour souligner ces deux événements, nous avons demandé à trois chanteurs de choisir un Québécois noir qui les inspire - mort ou vivant, célèbre ou méconnu. À lire pour découvrir autant les artisans du gospel montréalais que les leaders qu'ils admirent.

 

CAROL BERNARD, 48 ans, directrice de trois chorales (Jireh Gospel Choir, Rivers Edge Gospel Choir et McGill Community Gospel Choir). Choix: Oscar Peterson

Dans leur maison familiale de Côte-des-Neiges, les Bernard n'écoutaient que de la musique classique. Décision du père, d'origine jamaïcaine. «C'était à cause de la religion, explique sa fille Carol. Seule la musique classique lui semblait compatible avec ses croyances. Pour lui, le reste n'était pas sérieux. Ce n'était que du bruit.»

Tout aussi croyante, elle consacre maintenant sa vie au gospel. Elle dirige trois chorales. Ses concerts dans des églises de Saint-Henri et de la Petite-Bourgogne la rapprochent d'un géant de cette communauté, Oscar Peterson. «Dans un cours d'histoire du jazz à l'Université de Montréal, je me souviens d'avoir été frappée. On écoutait Hymn To Freedom d'Oscar Peterson. C'était un Noir, un jazzman du Sud-Ouest de Montréal, et sa musique était étudiée avec le même sérieux que celle des maîtres classiques», se souvient-elle.

Dans les années 40, Peterson jouait dans le Johnny Holmes Orchestra, un groupe formé de Blancs. Il lui était alors interdit de loger au Ritz. Quelques décennies plus tard, le désormais célèbre jazzman avait son propre groupe et sa chambre au chic hôtel. Au-delà de ce parcours, c'est l'aboutissement de l'art de Peterson qui inspire Carol Bernard. «Sa quasi-perfection, c'est une chose à laquelle j'aspire avec nos chorales.»

Perfection, et aussi force d'évocation. Carol Bernard a une anecdote, disons, étonnante à ce sujet: «Je participais à un concert sur la Rive-Sud. En sortant de la salle, une personne m'a dit que notre chorale l'avait rendue croyante. Sérieusement.»

Ce témoignage l'a elle aussi changée. Diplômée en mathématiques de McGill, elle occupait alors un poste bien rémunéré au Canadien National. Elle a quitté son emploi pour se consacrer aux chorales à temps plein, un choix qui l'a conduite à retourner à l'université pour étudier la musique. Elle a obtenu son diplôme en mai dernier. «Je ne regrette rien, vraiment.»

MATTHEW DIXON, 27 ans, Membre du Jireh Gospel Choir. Choix: Jacklin Webb

Lorsqu'il a décroché un poste à la Banque TD, en 2004, Matthew Dixon a remarqué que peu de Noirs travaillaient dans le secteur bancaire. «On a lancé un comité de diversification pour l'embauche dans la succursale de Dollard-des-Ormeaux, explique le gestionnaire financier. Ça visait à favoriser l'embauche des minorités visibles. Le programme fonctionnait et fonctionne encore. Plusieurs autres succursales québécoises l'appliquent, maintenant. Tout ça est fait bénévolement», raconte-t-il dans son français un peu cassé. Le ton est jovial, gentiment idéaliste.

Cet engagement, Matthew Dixon l'attribue à «son mentor», l'enseignante Jacklin Webb. Une des premières femmes noires à diriger une école montréalaise (Parkdale School), elle préside le Black Theater Workshop, qui promeut le théâtre et la littérature noirs. «Elle ne m'a jamais enseigné, mais je la connais assez bien. C'est une figure très respectée chez les anglophones. Elle se voue au développement des jeunes et de la communauté noire. Si quelqu'un m'a donné le goût de m'investir, c'est sûrement elle.»

SYLVIE DESGROSEILLERS, 43 ans, porte-parole des Rendez-vous gospel. Choix: Luck Mervil

Le 20 janvier, Sylvie Desgroseillers et sa famille étaient au milieu de la foule à Washington pour l'investiture de Barack Obama. «Ça a suffi pour me donner un high d'une année, lance-t-elle, volubile. Ne serait-ce que pour son optimisme, son audace et sa détermination, il m'inspire incroyablement.»

Ces qualités, elle affirme les retrouver aussi chez Luck Mervil - même si, bien sûr, elle n'ose absolument pas comparer les deux hommes. «Quand Luck veut quelque chose, il ne se demande pas si c'est possible. Il fonce. Et les trois quarts du temps, ça fonctionne. Son attitude est contagieuse, tout comme sa bonne humeur.»

Elle admire autant la capacité d'intégration de Luck Mervil (nommé Patriote de l'année 2004-2005 par la Société Saint-Jean Baptiste) que sa contribution artistique (Ti Peyi A) et philanthropique à l'égard de son pays d'origine, Haïti. «Des personnages historiques ont permis de réaliser d'immenses pas. Mais il ne faut pas oublier ceux qui aident à leur façon en touchant les gens autour d'eux, en accomplissant plusieurs petites choses. Luck est un de ceux-là.»

L'importance des modèles

Les modèles de réussite importent peut-être encore plus qu'on ne croit. C'est ce qu'on conclut de la lecture d'Acting White, étude de Roland Fryer. L'économiste de Harvard lie la réussite scolaire à la popularité (échantillon de 90 000 Américains de 12 à 17 ans). Pour résumer grossièrement: chez les Blancs, le lien est positif. Plus le jeune obtient de bons résultats, plus il risque d'être populaire. Le lien est nul pour les Noirs. Et il est négatif pour les Hispaniques. La cause, selon le professeur Fryer: le préjugé du acting white. Chez les minorités visibles, la réussite scolaire est sanctionnée socialement. D'où l'importance, selon lui, de valoriser les modèles de réussite comme Barack Obama. M. Fryer est l'un des jeunes économistes les plus prometteurs au monde, selon The Economist.

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Concert: le Jireh Gospel Choir avec Lulu Hugues, vendredi 6 février à 20 h à l'église Saint-Irénée. Lecture: Les Noirs à Montréal, 1628-1986, de Dorothy W. Williams, VLB Éditeur, 220 pages.