Tu m'intimides, le nouveau disque de Mara Tremblay, est à la fois tout et son contraire: rock et folk, frondeur et tendre, douloureux et amoureux. «Ça a été les deux années les plus intenses de toute ma vie, dit-elle, ça transparaît sur l'album.» Ce grand dérangement l'a menée à enregistrer un disque chargé et concis, d'une originalité et d'une vitalité rares.

Se mettre à nu, Mara Tremblay en a l'habitude. Chaque fois qu'elle écrit une chanson, elle livre une part d'elle-même. Sa plume va souvent droit au but, dit les émotions comme elles sont, le désir comme la douleur, et elle assume. On ne la verra jamais se défiler en disant que son «je» est celui d'une autre. Sauf que la chanteuse n'avait jamais poussé le dévoilement jusqu'à poser nue pour la pochette de l'un de ses disques.

 

Impossible d'éviter le sujet, en entrevue. «Sur les pochettes de mes autres albums, soit je n'étais pas là, soit j'étais bien cachée. J'avais envie d'un portrait, cette fois-ci. J'avais envie de quelque chose de bien simple, pas de flafla. Le nu s'est imposé, dit-elle simplement. J'ai une amie qui est peintre et qui a fait beaucoup de portraits de moi, nue. Je suis super à l'aise avec ça dans l'art.»

Mara Tremblay ne cherchait pas à provoquer. Son portrait au buste nu et à la chevelure tombant judicieusement aux endroits stratégiques ne se veut pas affriolant. Elle n'aurait d'ailleurs aucune chance de faire la une d'un magazine «pour hommes» du genre Summum. «On se fait tellement garrocher de symboles, constate-t-elle. Des filles en déshabillé, il y en a dans tous les vidéoclips à MusiquePlus et même sur les pochettes de disques. Ça, ce n'est pas ça.»

Le nu, c'est bien sûr pour casser l'image de la fille farouche et renfermée qui lui a longtemps collé à la peau. Une affirmation de soi qui ne nuit pas au marketing. «J'avais envie que ça ne passe pas inaperçu», reconnaît-elle. C'est aussi un jeu. Son nouvel album s'intitule Tu m'intimides. Or, la pointe de défi qu'on lit dans son regard dément totalement l'affirmation. Mara Tremblay montre encore sa fragilité sur ce quatrième disque, mais aussi son goût de rocker. La douleur ne nuit plus à son bonheur.

Maudit bonheur

Les quatre années qui séparent les parutions de Les nouvelles lunes et de Tu m'intimides n'ont pas été de tout repos pour la chanteuse et musicienne. En plus de sa propre tournée, elle a participé à un grand nombre d'initiatives collectives: l'album Chapeau! Félix de La montagne secrète, les deux compilations Quand le country dit bonjour..., ainsi qu'un spectacle en hommage à Pauline Julien et plusieurs autres à titre de violoniste. Une vie professionnelle chargée, à laquelle il faut ajouter de nombreux chambardements dans sa vie personnelle vécus au cours des 24 derniers mois.

«Ça a été les deux années les plus intenses de toute ma vie, ça transparaît sur l'album», affirme Mara Tremblay. Elle a vécu une rupture avec le père de son deuxième fils, le Chick'n Swell Daniel Grenier. Elle a déménagé. Sa mère, qu'elle remercie dans le livret du disque, est décédée. Puis, elle a de nouveau rencontré l'amour... et vécu un nouveau déménagement. «Ça a brassé fort dans ma petite vie!» insiste l'artiste qui aura 40 ans en juillet. Ses chansons témoignent de tous ces bouleversements émotifs.

La douleur pointe dans Tu n'es pas libre, qui évoque sa séparation, mais on trouve surtout beaucoup d'amour sur cet album. Tu m'intimides, la chanson titre, repose d'ailleurs sur l'aveu à la fois anxieux et téméraire d'une femme amoureuse. Dans Toutes les chances, c'est la passionnée qui s'exprime, celle qui est reconnaissante envers la vie de lui avoir présenté un autre grand amour, à 38 ans, alors qu'elle ne s'y attendait pas.

Ce bonheur n'est pas étranger à la confiance que dégage Mara Tremblay. Elle n'est plus cette fille sur la défensive peu disposée à se livrer qu'elle était au début de sa carrière solo. Ce n'est toujours pas la plus bavarde des chanteuses, mais surtout parce qu'elle avance de façon intuitive et qu'elle ne ressent pas le besoin d'analyser tous les choix artistiques qu'elle fait. «Dans ma tête, tout est lié anyway, dit-elle. Ça vient tout de moi. Je vais au bout de ce dont j'ai envie, j'ai toujours été comme ça.»

Refuser le naturel

On ne reconnaît pas d'emblée Mara Tremblay la première fois qu'on entend Tu n'es pas libre. Son chant fragile et son ton direct ne nous sont pas étrangers, mais l'approche musicale est si singulière qu'on n'a pas le temps de cerner l'identité de l'interprète avant que la chanson ne s'achève abruptement au bout de deux minutes et demie. Surpris, on se demande à quoi on vient d'être exposé.

Tout ça est délibéré. Tu n'es pas libre casse l'image de la chanteuse country au timbre nasillard que Mara Tremblay demeure aux yeux de ceux qui n'ont jamais écouté l'un de ses disques. La violoniste ne renie pas ses premières amours (elle sera de la tournée Quand le country dit bonjour d'ailleurs), ni ce ton qui lui appartient, mais elle s'éloigne tout de même du son country-folk. Elle renoue avec des musiques à tendance plus rock et richement texturées auxquelles les fans de son album Papillons adhéreront sans peine.

Tu m'intimides témoigne d'un refus du naturel. Il n'est pas gossé dans le bois d'une guitare acoustique et met de l'avant un son compact, habité jusque dans ses derniers retranchements par un grésillement de basse ou l'esprit voyageur d'un clavier. «Je l'ai beaucoup composée au piano, ce qui amenait beaucoup d'autres idées mélodiques, d'autres textures, expose-t-elle.

«Il y a moins de violon, c'est voulu, parce que je trouve qu'il y en a partout, constate la musicienne. J'en suis venue à trouver ça décevant quand j'entendais des albums avec du violon. Ça n'avait plus rien de particulier.» Elle en a toutefois ajouté sur la pièce titre, mais ce n'est pas elle qui en signe l'arrangement. Elle a plutôt confié ce boulot à son nouvel amoureux, le chanteur et musicien Antoine Gratton. «Il est hallucinant pour les violons, s'enthousiasme-t-elle. Il amène quelque chose de différent, de plus contemporain.»

Voyages éclair

Sa personnalité forte, Tu m'intimides la doit beaucoup au réalisateur Olivier Langevin (Galaxie 500, Fred Fortin), complice de Mara Tremblay depuis toujours, et au batteur Pierre Fortin (Les Dales Hawerchuck), qui se fait un plaisir de sortir des sentiers rythmiques habituels. Ce trio, auquel il faut ajouter Pierre Girard (coréalisation, prise de son, mixage), a su créer de véritables voyages musicaux, sans trop s'éloigner de la forme chansonnière et souvent en moins de trois minutes.

Chaque morceau est une boule sonore autant qu'une boule d'émotion. «Ça correspond à ce que j'ai vécu. J'ai reçu tellement d'informations émotives en même temps!» s'exclame la chanteuse. Le fait qu'il transporte beaucoup de bonheur n'empêche pas le disque de gronder. «J'avais besoin de ça après Les nouvelles lunes.»

Son album précédent, Mara Tremblay dit l'avoir écrit et enregistré alors qu'elle se trouvait encore dans la «bulle» de la maternité. Il ne comptait que trois ou quatre chansons qu'elle avait envie de faire sur scène. «Quand le temps est venu de monter le show, j'avais juste des tounes du Chihuahua dans la tête. Cette fois-ci, j'avais envie de faire des chansons que j'aurais envie de jouer sur scène.»

Et là, elle brûle de remonter sur scène avec sa gang de gars. Le moment n'est pas encore venu, mais c'est une excellente nouvelle pour ceux qui préfèrent leur Mara Tremblay... aventureuse!