Le 4 avril 1968, on a assassiné Martin Luther King. Le lendemain soir à Boston, James Brown a donné un concert qui a bien failli dégénérer...

Le 4 novembre prochain, les États-Unis éliront peut-être leur premier président noir. On peut dire, sans exagérer, que la chose aurait été impensable il y a deux ans. Alors imaginez il y a 40 ans...

 

Il y a 40 ans, on tuait pour moins que ça. Rappelez-vous Martin Luther King. Le leader de la cause «black» a été assassiné le 4 avril 1968, sur le balcon de son motel, à Memphis. On le trouvait dérangeant. On l'a tassé du chemin.

Ce drame a laissé des traces - mais pas seulement dans la société américaine. Le spectacle foudroyant qu'a donné James Brown, le lendemain soir au Garden de Boston, est le témoin direct de cette période tumultueuse, où les espoirs de la nation afro-américaine sont passés à un cheveu (crépu) de virer au chaos.

Remercions la maison Shout d'avoir réédité sur DVD la totalité de ce concert historique. Intitulé I got the Feeling (James Brown in the 60's), ce coffret triple permet de mieux palper l'urgence qui régnait dans l'Amérique noire des années 60. Une urgence dont James Brown était l'incarnation musicale absolue.

On sait que le parrain du soul était une bête de scène. Quelques extraits, vus ici et là, confirment que Mr. Dynamite n'avait pas - mais alors vraiment pas - volé son surnom. Mais ce 5 avril 68, galvanisé par les événements, le chanteur a donné une des performances les plus électriques de sa longue carrière, multipliant les cris, les couinements, les gouttes de sueur et les chorégraphies explosives.

C'était sa façon d'évacuer la tension ambiante. Une tension à couper au couteau.

Pour tout dire, les autorités de Boston avaient raison d'être inquiètes. Au début du concert, le maire (blanc) de la ville s'est fendu d'un discours fédérateur pour apaiser la colère qui grondait. Officiellement, il a rendu hommage à Luther King. Entre les lignes, on peut entendre: S'il vous plaît, pas de grabuge.»

Peine perdue. À la fin du show, la foule survoltée a commencé à envahir la scène. À l'évidence, ce n'était pas seulement pour faire du «stagediving». En 12 secondes, un mur de flics s'est dressé derrière le chanteur, qui a tenté de calmer le jeu. Quand il a senti que la situation lui échappait, il a haussé le ton et lancé: «Come on people! We are Black! We are Black! Don't mess it all up!» (Nous sommes noirs! Ne gâchez pas tout!) Contre toute attente, les paroles ont porté. Et l'émeute est morte dans l'oeuf.

James Brown a-t-il vraiment sauvé Boston ce soir-là? C'est ce que laisse entendre l'excellent documentaire The Night James Brown Saved Boston, deuxième DVD de ce coffret (qui inclut par ailleurs un autre concert donné en mars de la même année au Apollo de Harlem).

Selon les personnes interrogées, James Brown n'était pas particulièrement pacifiste, loin de là. Mais ce 5 avril 1968, devenu malgré lui un instrument de contrôle social, le «Brother #1» a indiscutablement tempéré la fureur de son peuple.

Detroit, Chicago, Baltimore et Washington n'ont pas eu la même chance. Dans la semaine, la révolte noire a fait 40 morts et entraîné plus de 20 000 arrestations aux États-Unis. En panique, le maire de Washington a appelé le nouveau champion de la cause afro-américaine à la rescousse.

En conférence de presse, le message de James Brown a sifflé comme une balle: «Mes frères, le Black Power n'est pas dans la destruction. Il est dans votre tête. Ne l'oubliez pas...»

JAMES BROWN

I Got the Feelin'

The Night James Brown Saved Boston

****1/2