Le jeune pianiste russe Evgueny Kissin a fait le tour des grandes marques de disques pour aboutir récemment chez EMI. Il avait précédemment enregistré pour la marque nationale de son pays, Melodiya, puis chez Deutsche Grammophon, enfin chez Sony et RCA, deux marques autrefois concurrentes qui ont fusionné en une seule, Sony-BMG (le géant BMG ayant absorbé RCA).

Puisant aux enregistrements réalisés par Kissin chez Sony et chez RCA entre 1988 et 2004, Sony-BMG a monté un album de deux compacts au titre The Essential Evgeny Kissin. Forcément, il y manque bien des choses. Ainsi, on n'y trouve aucun concerto, alors que Kissin en a enregistré plusieurs, pour les deux marques. Ironie du sort, ce qui pourrait sembler une formule purement commerciale correspond à la réalité plus que ne le soupçonne le producteur.

Kissin, immense technicien, reste en effet limité comme interprète. On l'a constaté récemment à l'OSM dans le deuxième Concerto de Brahms: sa vision du grand répertoire germanique s'arrête au premier degré. Ce qu'on savait déjà par ses Beethoven, Schumann et Schubert: il y a là une dimension qui lui échappe.

On croira à une contradiction si je dis que les deux grandes pièces du présent programme appartiennent précisément à ce répertoire. Il n'y a pas de contradiction. Kissin joue les transcriptions, de Busoni, de deux sommets de la musique de Bach: la Toccata, Adagio et Fugue pour orgue et la Chaconne pour violon seul, à la différence que les arrangements de Busoni sont de grandiloquentes fresques pianistiques ayant peu à voir avec les originaux (la plupart des organistes et des violonistes préfèrent d'ailleurs les ignorer). Kissin joue le jeu à fond et les transpose dans la grande sonorité quasi orchestrale de l'école russe. On accepte jusqu'à ses rubatos excessifs dans l'Adagio central.

En fait, le présent programme totalisant plus de deux heures est très généreux et très varié, pleinement satisfaisant dans le cadre de ce que peut offrir le pianiste de 36 ans. Le triptyque à l'origine pour orgue ouvre le premier disque. Tout ce qui suit est de Chopin: une Fantaisie op. 49 pleine de contrastes (et enregistrée en publc, comme plusieurs des pièces groupées ici), des Nocturnes op. 27 inquiets, plaintifs, plutôt que rêveurs, quatre Mazurkas mêlant élégance et gravité, une Barcarolle au lyrisme irrésistible, une puissante Polonaise op. 53 aux traits fulgurants exécutés sans la moindre retenue.

Le deuxième disque débute par la Chaconne. Suivent: deux courts Brahms op. 76 au phrasé chaleureux, trois Études-Tableaux de Rachmaninov pleins de mélancolie, les Trois Mouvements de Pétrouchka, de Stravinsky, suggérant l'orchestre, enfin une pièce de Glinka dans un arrangement surchargé de Balakirev.

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EVGUENY KISSIN, PIANISTE

SONY-BMG,

ALB. 2 D., 88 697 301 102