Cette année encore, Philippe Bélanger se faisait musicien de cinéma au récital de clôture de la saison estivale présentée à l'orgue de l'Oratoire Saint-Joseph dont il est le titulaire. Cette fois, il choisissait d'improviser une trame sonore sur la version muette de Ben-Hur, datée de 1925 (et non de 1926, comme on l'avait dit) et réalisée en partie en noir et blanc et en partie en couleurs.

Comme tout le monde, ou presque, j'avais vu la version parlante de 1959, avec Charlton Heston. Ayant un certain goût pour le cinéma, la version muette m'attirait, pour la curiosité et aussi pour ce qu'en ferait Bélanger sur son colossal Beckerath aux ressources infinies, et d'autant plus que je n'avais jamais entendu ses improvisations cinématographiques, celles-ci tombant toujours le soir d'un concert important.

Je ne raconterai pas le scénario de ce Ben-Hur - A Tale of the Christ (le titre complet), sauf pour rappeler que le jeune juif Judah Ben-Hur (incarné par Ramon Novarro) et le centurion romain Messala (par Francis X. Bushman), bien qu'amis d'enfance, restent ennemis jurés en raison de leurs origines et s'affronteront lors d'une épique course de chariots tirés par des chevaux, course dont notre Ben, bien sûr, sortira vainqueur.

Très impressionnante dans la version 1959, la fameuse course l'était déjà en 1925, et d'autant plus que les moyens techniques n'étaient pas du tout ceux de 30 ans plus tard. L'extraordinaire virtuosité des caméras courant à la vitesse des chevaux, les scènes de foule ou de combat, confuses la plupart du temps, les scènes d'amour, plus rares cependant, celles où notre héros se retrouve seul avec lui-même, tout cela fut rendu à l'orgue avec une imagination manifestement inépuisable.

Le film est très long: il totalise deux heures et 20 minutes, sans entracte. L'événement avait attiré quelque 500 personnes qui, presque toutes, demeurèrent jusqu'à la fin, malgré la longueur... et les longueurs.

Je ne crois pas qu'en bientôt 50 ans d'existence, le Beckerath de l'Oratoire ait parlé (comme on dit pour un orgue) pendant une aussi longue période de temps sans le moindre répit. Double exploit, donc: l'orgue et celui qui était aux commandes. Au plus fort de l'affaire, et dans un langage rappelant à la fois Liszt, Franck et Lefébure-Wély, les cinq claviers manuels et le pédalier semblaient en conflit les uns avec les autres ou bien c'est l'orgue au complet, avec ses 78 jeux, qui était mis à contribution.

Par ailleurs, l'organiste donnait vie aux trompettes brandies sur l'écran en faisant éclater les chamades et soulignait certaines situations en recourant au crescendo, aux jeux lointains du Récit et de l'Écho et, au plus profond de l'instrument, aux timbres les plus curieux et les plus rares, jamais entendus là-haut parce qu'ils ne conviennent tout simplement pas au répertoire courant.

Le Beckerath de l'Oratoire fera bientôt l'objet d'une importante restauration. On n'en sait pas plus pour l'instant. On peut quand même regretter qu'un instrument de cette qualité serve à l'improvisation de musiques de film et espérer que la chose ne deviendra pas, pour l'orgue et pour l'organiste, une habitude.

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PHILIPPE BÉLANGER, organiste. Mercredi soir, Oratoire Saint-Joseph (orgue à traction mécanique Beckerath, 1960; 78 jeux, cinq claviers manuels et pédale). Programme: Improvisation sur la version 1925 du film Ben-Hur.