Il existe une espèce de culte du secret dans le milieu québécois de la musique.

Une fois qu'un artiste dispose d'un minimum de renom, le moindre détail le concernant est considéré comme une information sensible dont la diffusion pourrait porter atteinte à son intégrité artistique ou comme un scoop potentiel qu'il ne faut pas ébruiter pour ne pas torpiller le plan de marketing. Omertà, donc.

J'exagère? Oh! si peu...

Habitué à la discrétion - le mot est faible - de la plupart des artistes «en écriture», quelle ne fut pas ma surprise de constater, en visitant le site Internet du Divan Orange, que Yann Perreau s'y produisait hier et avant-hier. Deux spectacles «incognito», consacrés à ses chansons en chantier et justement baptisés Création en évolution. Un geste trop rare pour ne pas se donner la peine d'y aller. Incognito, moi aussi.

Le Divan Orange étant ce qu'il est, c'est-à-dire un petit bar-spectacles convivial, ma couverture a vite été éventée: le chanteur m'a surpris au bar, un calepin dans une main et une pinte de bière noire dans l'autre. On a jasé.

Son projet, disait-il, est de vivre et faire vivre ses chansons sur scène avant de les enregistrer. Il veut qu'elles aient déjà planté leurs «racines» en lui, que ses musiciens et lui les aient dans le corps au moment d'entrer en studio, au mois d'octobre. Rien n'est encore définitif à ce stade-ci: ni la forme ni le fond. Il compte sur cette tournée d'une douzaine de spectacles pour trouver la direction à prendre pour chaque chanson.

Il y en a déjà une qui a été éjectée du programme. «On se battait avec», dit-il. Elle reviendra peut-être plus tard sous une autre forme. Ça dépend de lui... et un peu de vous aussi. Ce n'est pas par narcissisme que Yann Perreau cherche à créer devant un public, c'est parce qu'il veut savoir ce qu'on pense de ses nouvelles chansons, là, tout de suite. Il veut du «feedback», comme il l'a dit à ceux venus l'entendre jeudi. «Je suis prêt, je suis comme un punching bag.» Il n'a pas fini la phrase suivante, mais il allait ajouter que les fleurs étaient bienvenues, elles aussi.

Je ne sais pas quelles conclusions il a tirées de son spectacle de jeudi. Vu de la salle, ça allait rondement. Déjà, on peut dire qu'il dispose d'un super groupe: Alex McMahon (son partenaire dans l'aventure Perreau et la lune) aux claviers et à la batterie, l'ex-Dears Martin Pelland (qui a été de la tournée Nucléaire) à la basse et aux claviers et George Donoso (aussi des Dears) à la batterie et à la guitare.

Il a aussi en main plusieurs morceaux très forts. L'esprit est souvent rock, même quand personne ne joue de la guitare. C'est le cas de Le bruit des bottes, l'une des pièces marquantes de la première moitié du spectacle avec une autre, magnifique, intitulée Invente une langue pour me nommer. Celle-là, il l'avait faite en version piano-voix à la finale des Francouvertes, il y a quelques mois. L'apport de son groupe, notamment le jeu délicat de George Donoso à la guitare, lui donne de l'étoffe et accentue la clairvoyance sensible du texte cosigné par le poète Dominique Cornellier.

On reconnaît la griffe de Yann Perreau dans pratiquement toutes les chansons testées jeudi. Sauf peut-être dans une ritournelle que, à la blague, le chanteur dit avoir écrite pour enfin tourner à la radio. On constate aussi que, à ce stade-ci, une partie du répertoire flirte avec un rock carré auquel, personnellement, je ne m'attendais pas de la part de ce musicien qui compose généralement au piano.

Yann Perreau a encore une dizaine de spectacles devant lui pour se faire une idée de ce qu'il fera de ses chansons en chantier. Dont deux à Rouyn-Noranda dans le cadre du Festival de musique émergente et... au moins un autre au Divan Orange le 20 septembre. Ne le répétez à personne, il fait ça incognito.