Cloîtrée dans un studio à Notre-Dame-de-Grâce, Emmanuelle Duval-Auger travaille d'arrache-pied à son premier album. La chanteuse de 22 ans n'a pas encore éclos, mais une maison de disques française a déjà mis le grappin dessus. La scène soul/R&B de Montréal est devenue un véritable réservoir de talents pour l'Hexagone. Gage, Vaï, Zaho, ils sont nombreux à squatter les ondes françaises. Et la tendance se maintient.

«Les artistes québécois sont plus entertainers que les Français: ils font le show. Ils sont beaucoup moins repliés sur eux-mêmes et ils ont compris que la France est un gros marché pour eux», explique Benjamin Chulvanij, producteur délégué à Universal Music France.

Ethel Ngombe, agent d'artistes français, a travaillé avec le chanteur montréalais Marc Antoine. Selon lui, les artistes québécois mettent beaucoup de rythme. «Ils arrivent à faire swinguer la langue française», dit-il. Son expérience avec Marc Antoine a été concluante: l'album du chanteur québécois sera certifié disque d'or en France au mois de septembre.

Les artistes montréalais caracolent en tête des palmarès des ventes de disques dans l'Hexagone. Ayant découvert un bon filon, les maisons de disques françaises ont l'intention de traire la vache à lait jusqu'à la dernière goutte.

Les labels EMI et Universal convoitaient tous les deux la chanteuse montréalaise Emmanuelle Duval-Auger. Universal a remporté la mise. «Nous avons signé avec Emmanuelle au début de l'été, raconte M. Chulvanij. Je crois en elle, elle a un gros potentiel pour percer le marché français.» L'agent d'Emmanuelle, Ethel Ngombe, abonde: «Elle a une grande puissance vocale, comparable à celle de Céline Dion.»

Outre sa voix, la chanteuse montréalaise a d'autres atouts. «Emmanuelle a la capacité de chanter en anglais, en français et en espagnol. Elle est susceptible de plaire à un large public: c'est un grand avantage», dit M. Ngombe.

La sortie de l'album est prévue pour janvier prochain. D'ici là, plusieurs choses vont changer. Dans un premier temps, Emmanuelle va devoir trouver un pseudonyme. «Je vais garder mon prénom, mais je vais changer mon nom de famille. C'est trop long, ça ne fait pas très marketing», dit-elle.

Avant d'atterrir dans les bacs québécois, l'album sortira d'abord en France. «Le marché est difficile au Québec, explique-t-elle. C'est un milieu très fermé, très clos. Ici, on aime bien le rock de Pascale Picard ou d'Andrée Watters. Là-bas, on aime plutôt le hip hop et le R&B.»

Silence radio au Québec

Selon le compositeur montréalais Sonny Black, l'exode des talents québécois est essentiellement dû à la frilosité des radios commerciales, qui n'osent pas prendre de risques. «Pour vendre des disques, il faut passer à la radio. Or, les programmateurs radio ici sont des gens d'une autre génération. Ils connaissent Michel Rivard, mais ils ne connaissent pas K-Maro ou Marc Antoine. Ils ont vécu autre chose», explique-t-il.

Sonny Black ne comprend pas la réticence des stations à passer de la musique urbaine. «On gagnerait à faire jouer ces chansons. Ça donnerait un nouveau souffle à l'industrie. Au Québec, je trouve que ça tourne en rond: les nouveaux bands font les mêmes trucs que les anciens.»

Alors, le succès des chanteurs montréalais outre-Atlantique est-il un phénomène passager? «Le talent fait tout, et tant qu'il y aura des artistes québécois talentueux pour plaire aux Français, le phénomène va se pérenniser», conclut M. Chulvanij.