Grande et solide, la blonde et souriante Valentina Lisitsa sort de l'ascenseur, son sac à dos chargé de ses enregistrements en CD et DVD qu'on pourra se procurer après ses concerts à Lanaudière.

J'observe: tout un fardeau sur les épaules! Dans un anglais teinté d'accent russe, la pianiste réplique: «Oui, il faut des muscles pour ce deuxième Concerto de Prokofiev... que je joue pour la première fois et, j'espère, la dernière!»

Partageant avec Carmina Burana de Orff et Les Offrandes oubliées de Messiaen le programme d'ouverture du Festival de Lanaudière, ce soir et demain soir, 20h, à l'Amphithéâtre, le plus long et le plus difficile des cinq Concertos pour piano du compositeur russe - quatre mouvements, une grosse demi-heure de durée - fut instamment demandé à la jeune soliste par le directeur de la programmation du Festival, Alex Benjamin, lui-même pianiste, et par Yannick Nézet-Séguin, qui sera au pupitre de l'Orchestre Métropolitain pour ce programme donné exceptionnellement deux soirs consécutifs.

Benjamin avait entendu une radiodiffusion de Mexico où Lisitsa jouait le deuxième Concerto de Brahms. À Lanaudière, elle aurait volontiers repris son Brahms... ou le troisième de Prokofiev, qu'elle juge plus facile que le deuxième. Mais Benjamin insistait pour le plus difficile et plus rare deuxième.

«J'en avais entendu quelques enregistrements: Browning, Bolet, Cherkassky. Mais je n'avais jamais VU la partition. Ouf! Chaque jour j'y retournais et chaque jour j'avais envie d'annuler. Mais j'avais donné ma parole... alors, je suis là! Ce concerto, je l'aime et je ne l'aime pas. Les thèmes sont bons mais je trouve l'ensemble déprimant, comme si ces thèmes devenaient les victimes de quelque chose. Rien que le Scherzo: il n'y a là rien de comique! Il est vrai que la version originale a disparu dans un incendie et que Prokofiev a reconstitué le concerto de mémoire.»

La pianiste se félicite quand même d'avoir accepté l'invitation de Lanaudière. On a ajouté un deuxième soir au programme d'ouverture - c'est-à-dire que le concert prévu pour demain est d'abord donné ce soir, comme avant-première - et qu'on offrait à la pianiste un récital en lui donnant carte blanche.

Mardi soir, à l'église de Saint-Paul, en banlieue de Joliette, elle jouera - dans l'ordre suivant, différent de celui qu'affiche le Festival - un groupe Rachmaninov comprenant une Étude-Tableau et quatre Préludes, l'Appassionata de Beethoven, les Kinderszenen de Schumann, la Grande Fantaisie sur Le Barbier de Séville de Rossini, de Thalberg, et la Totentanz de Liszt dans la version pour piano seul (l'oeuvre est habituellement jouée avec orchestre).

Oui, tout cela est son choix à elle. Le cas du Thalberg est curieux. Les trois airs les plus connus de Barbiere, soit ceux de Figaro, de Rosina et de Basilio, sont ignorés par Thalberg. Je le sais par l'enregistrement de Raymond Lewenthal. Surprise totale de la pianiste. Elle croyait qu'il n'en existait aucun enregistrement et que le sien, réalisé prochainement, sera le premier. Elle ajoute: «C'est aussi très difficile. La première fois que j'ai joué cela, mon agent, en voyant la partition, a voulu faire tripler mon cachet!»

Je suis étonné à mon tour lorsqu'elle me parle du séjour de Prokofiev à Montréal, détail à peu près inconnu qu'elle a trouvé, dit-elle, dans l'encyclopédie électronique Wikipédia.

Valentina Lisitsa est née à Kiev, a 39 ans, a joué pour la première fois en public à 4 ans et entrepris ses études musicales deux ans plus tard, est mariée au pianiste Alekseï Kouznetsov avec qui elle a joué - en remplacement des soeurs Labèque - le Concerto pour deux pianos de Poulenc en tournée américaine il y a 10 ans avec Dutoit et l'Orchestre National de France. Aime-t-elle le Concerto de Poulenc? «Non.» Et Dutoit? «Il était déprimé par un divorce.»