Originale et tout à fait dans l'esprit d'un festival, l'idée de marquer le centenaire de Messiaen en faisant précéder sa musique de celle que Liszt livra un siècle avant lui. Dans les deux cas, un même instrument, le piano - traité différemment, chose inévitable -, traduit des préoccupations de mysticisme et de couleur sonore communes aux deux créateurs.

Pour illustrer ce rapprochement, Lanaudière avait invité un jeune pianiste israélien encore inconnu, Inon Barnatan. Dans un cadre certainement nouveau pour lui, celui des statues de plâtre de la petite église de Saint-Alphonse-Rodriguez, le visiteur trouva l'inspiration nécessaire pour traverser ce programme d'une façon parfaitement convaincante.

On s'étonne de le voir jouer avec la partition. Notre Louise Bessette joue par coeur les millions de notes de l'intégrale des Vingt Regards sur l'Enfant-Jésus, soit plus de deux heures de musique, alors que M. Barnatan se limite à trois extraits totalisant une demi-heure. Je veux bien qu'on lise ces Messiaen touffus, parfois écrits sur trois portées, mais je n'ai jamais vu un pianiste jouer les Liszt avec la musique devant lui.

C'est ma seule réserve. Au plan technique, aucun problème: le nouveau venu peut visiblement jouer n'importe quoi. De Liszt, quatre extraits des Harmonies poétiques et religieuses envoûtent la centaine d'auditeurs, qui retiennent leurs applaudissements jusqu'à la fin du groupe. L'imposante masse sonore de Funérailles, la touchante simplicité de l'Ave Maria, les effets de harpe du Cantique d'amour, le lyrisme intérieur de la très longue Bénédiction de Dieu dans la solitude: tout est là.

Oublions la littérature bondieusarde dont Messiaen encombre sa musique, les trucs dont il fait un usage immodéré, comme ces interminables répétitions d'accords et de traits divers, et ne cherchons pas à expliquer les dissonances effrayantes qui secouent le Baiser de l'Enfant-Jésus ou le boogie-woogie (je n'exagère pas!) qui accompagne le Regard de l'Église d'amour. Messiaen a incontestablement inventé au piano un nouveau langage et une nouvelle couleur et Inon Barnatan a livré de l'un et de l'autre une saisissante réalisation.

Son rappel: l'arrangement d'un choral de Bach que Myra Hess intitula Jesu, joy of man's desiring - en français, Jésus, que ma joie demeure.

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INON BARNATAN, pianiste. Lundi soir, église de Saint-Alphonse-Rodriguez. Dans le cadre du 31e Festival de Lanaudière.

Programme : Quatre extraits de Harmonies poétiques et religieuses, S. 173 (1845-52) - Liszt.

Trois extraits de Vingt Regards sur l'Enfant-Jésus (1944) - Messiaen.