L'effet Harvey Weinstein fait désormais des ravages au sein des grandes chaînes américaines, avec la chute de la vedette de NBC Matt Lauer après celle de Charlie Rose sur CBS, révélant les coulisses d'un monde sans pitié.

Les tabloïds new-yorkais s'en sont donnés à coeur joie jeudi matin pour évoquer le renvoi de Matt Lauer, accusé de harcèlement par une demi-douzaine de femmes, dont trois se sont plaintes directement à la chaîne.

Today's Perv, le pervers du jour, jeu de mot avec son émission matinale Today, a notamment titré le Daily News.

Aux États-Unis, le choc provoqué par ces révélations est supérieur à celui concernant Harvey Weinstein, qui était assez peu connu du grand public, ou n'importe quelle autre personnalité, car Matt Lauer y était une figure immensément populaire.

«Les hommes rêvaient d'être lui et les femmes fantasmaient à l'idée de coucher avec lui (et sûrement certains de ces hommes aussi)», écrivait le journaliste spécialisé de CNN Brian Stelter dans un livre sur les matinales télévisées publié en 2014.

Jeudi, le journaliste a présenté des excuses publiques, se disant «gêné et honteux».

«Il n'y a pas de mot pour exprimer ma tristesse et mon regret pour la douleur que j'ai causée par mes mots et mes actions», a-t-il expliqué dans un communiqué. «Aux personnes que j'ai blessées, je suis sincèrement désolé. Je réalise l'ampleur des dégâts et de la déception que je laisse derrière moi à la maison et à NBC.»

La fin d'un système?

Comme dans le cas de Charlie Rose, coprésentateur de la matinale de la rivale CBS, les accusations portées contre Matt Lauer ne ressemblent pas à des incidents isolés mais bien à un système, qui a perduré durant des années.

Jouet sexuel offert à une collègue avec une note suggestive, convocation d'une collaboratrice dans son bureau, qu'il pouvait fermer grâce à un bouton placé sous sa table, pour un rapport sexuel non consenti, les faits allégués vont bien au-delà du simple dérapage.

Dans le cas de Charlie Rose, les huit femmes contactées par le Washington Post avaient évoqué des appels téléphoniques obscènes ou des attouchements. Deux d'entre elles ont aussi rapporté qu'il s'était exhibé nu devant elles.

Il y a quelques mois, les scandales de harcèlement au sein de la chaîne d'information Fox News, qui ont entraîné le départ du PDG Roger Ailes puis du présentateur le plus connu de la station, Bill O'Reilly, dépeignaient, de la même manière, une forme de harcèlement sexuel institutionnalisé.

«C'était: tu couches avec moi et je te donne une promotion», a expliqué mercredi la journaliste de NBC Megyn Kelly au sujet de Roger Ailes, qu'elle a longtemps côtoyé à Fox News avant de quitter la chaîne début 2017.

«Beaucoup de femmes font le raisonnement suivant: merde, mon boulot est en jeu sur ce coup-là. La dernière chose que je veux, c'est froisser ou rejeter mon patron.»

Matt Lauer n'était pas le patron chez NBC, et «beaucoup des relations (sexuelles qu'il a eu avec des collègues féminines) étaient consensuelles, mais c'est toujours un problème à cause du pouvoir qu'il avait», a expliqué un ancien producteur de l'émission au site du magazine Variety.

«Il ne pouvait pas coucher avec des célébrités ou même des gens inconnus, parce qu'il était Matt Lauer et qu'il était marié», a-t-il poursuivi. «Donc il le faisait dans son écurie, où il jouait de son pouvoir et savait que personne ne se plaindrait.»

De manière générale, l'information télévisée aux États-Unis reste un milieu dominé par les hommes.

Les trois journaux du soir sur les grandes chaînes nationales (NBC, CBS et ABC) sont tous présentés par des hommes, et avant le grand ménage qui a emporté Matt Lauer et Charlie Rose, deux des trois animateurs numéro un des matinales étaient aussi masculins.

Pour Megyn Kelly, qui est désormais la plus grande vedette de NBC sur le créneau du matin, la série de scandales en cours marque «l'érosion d'un déséquilibre honteux du pouvoir qui est en place depuis bien trop longtemps».