Nouvelle programmation, nouvelle image, nouvelle identité musicale. Rouge FM a fait table rase pour tenter de regagner ses parts de marché, qui ont presque diminué de moitié au cours des deux dernières années. Un tel repositionnement est-il symptomatique d'une crise des stations musicales ? La Presse s'est entretenue avec les directeurs de programmation de quatre grandes chaînes musicales pour faire le point sur une industrie dont les principaux concurrents sont désormais les plateformes d'écoute en continu (streaming).

Bell Média a amorcé au printemps dernier le repositionnement de ses stations musicales avec un objectif simple : faire en sorte que Rouge et Énergie aient des identités plus claires.

« Ce n'est pas que ça ne fonctionnait pas. C'est que ça aurait pu fonctionner mieux », lance d'entrée de jeu Benoit Simard, directeur du contenu d'Énergie, qui a travaillé main dans la main avec son homologue de Rouge pour réaménager leurs grilles respectives et ainsi déménager deux émissions d'Énergie vers Rouge.

« On a pris le temps de définir nos cibles. Éric et les fantastiques rejoint un auditoire à 60 % féminin et Rouge est une station qui s'adresse principalement aux femmes. On s'est assis pour voir comment, dans l'écosystème qu'on a ici, on peut réaménager nos choses et faire encore mieux. Même chose pour Dominic Arpin et Mélanie Maynard : les femmes vont se retrouver totalement dans cette émission matinale », explique Patrice Croteau, directeur du produit à Rouge, qui a également opéré un changement à son catalogue musical.

« La musique est notre ADN. Le créneau du retour à la maison parle un peu plus. Mais à partir de 8 h 20 le matin, on est une radio d'accompagnement au travail en musique. » 

- Patrice Croteau, de Rouge

Même son de cloche du côté d'Énergie, qui promet d'être plus musicale que jamais l'automne prochain. « On revient à la base de ce qu'est une station musicale. On va assumer ces racines-là jusqu'au bout. On va piger dans le 2000-2010, mais aussi beaucoup plus dans les années 90 et 80. On sait que la demande est là », indique le directeur du contenu du 94,3.

Parts de marché des stations musicales entre le printemps 2015 et le printemps 2017

Rythme : Printemps17/14,51 - P16/19,8 - P15/17,9

Rouge : P17/7,3 - P16/10,3 - P15/12

CKOI : P17/10 - P16/8,4 - P15/7

Énergie : P17/6,1 - P16/5,6 - P15/7

UNE RADIO EN ÉVOLUTION

Les difficultés rencontrées par les stations de Bell Média sont-elles représentatives d'une crise plus large au sein des radios musicales ?

« La radio musicale est amenée à devoir évoluer. Mais elle n'est pas moins écoutée qu'avant. Les recherches démontrent que plus de 90 % [des gens] sont en contact avec la radio chaque semaine », précise Jean-Sébastien Lemire, directeur de la programmation à CKOI.

« La radio musicale pourrait être plus en santé », nuance pour sa part André St-Amand, vice-président programmation à Rythme FM, station musicale qui obtient le plus de parts de marché actuellement. 

Selon M. St-Amand, le manque de flexibilité du côté de la réglementation imposant des quotas dans les choix musicaux diffusés en ondes est au coeur des difficultés des stations à se démarquer. « La réglementation date de 1975. Avec des barèmes comme 35 % de contenu canadien, 65 % de musique francophone, en bout de ligne, toutes les stations se ressemblent. Le pouvoir de distinction repose sur les 34,9 % de musique autre que le français. On puise tous dans le même panier et le Québec est un petit marché. Ça ne colle plus à la réalité actuelle », explique le vice-président programmation de Rythme FM. 

« Le CRTC est censé tenir des audiences publiques, mais avec tous les changements au sein de l'institution, ç'a été reporté. »

- André St-Amand, de Rythme FM

Difficile dans un tel contexte, selon lui, de tirer son épingle du jeu face aux plateformes d'écoute en continu, devenues avec le temps les nouvelles concurrentes des stations musicales.

« L'avantage de ces plateformes est qu'elles n'ont aucune réglementation et s'adaptent à votre humeur du moment. Dans la situation actuelle, il serait difficile d'avoir une radio rap diversifiée en respectant le quota de 65 % de contenu francophone. La compétition se fait donc par les contenus verbaux, c'est là notre force », observe André St-Amand.

« La plus grande force de la radio est la mise en relation des gens. Spotify ne peut pas faire ça », ajoute pour sa part Jean-Sébastien Lemire, directeur de la programmation de CKOI.

PARLE, PARLE, JASE, JASE

Alors que les stations musicales misent sur les personnalités en ondes pour fidéliser leurs auditeurs, la portion parlée des émissions de pointe est-elle plus importante que par le passé ?

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Benoit Simard, directeur du contenu d'Énergie, et Patrice Croteau, directeur du produit à Rouge

« Je ne dirais pas qu'on parle plus qu'avant. On a peut-être cette impression à cause de la nature de ce qu'on traite, mais on parlait tout autant au début des années 2000. De manière générale, le parler est plus présent dans les stations top 40 comme CKOI et la musique plus importante dans les stations dites "adultes contemporaines" comme Rythme FM. Ça diffère aussi selon la case horaire : les émissions de pointes [matin et retour] vont tourner dans une proportion de 60 % parlé, 40 % musical. Sinon, durant le reste de la journée, ça serait plutôt du 20 % parlé, 80 % musical », explique Jean-Sébastien Lemire.

Avec seulement 25 % de contenu musical, Éric et les fantastiques reste le rendez-vous le plus « parlé » de la nouvelle programmation de Rouge.

« Le retour à la maison est une émission de divertissement. Mais on est quand même là pour donner la nouvelle et l'actualité dans l'oeil de nos quatre personnes à table. »

- Éric Salvail

L'animateur se rappelle très bien ses premières années en ondes à Énergie, au milieu des années 2000. « Le talk-radio du retour à la maison n'existait pas il y a quelques années : tu avais de la musique mur à mur ! », rappelle-t-il. 

« Tu parlais 45 secondes pour présenter autre chose. Quand les PPM sont arrivés, on est arrivé à la conclusion que la musique devait être prédominante, car c'est ce que les gens écoutaient au bureau. La tendance s'est inversée. La facilité de se brancher n'importe où avec les plateformes de streaming a fait en sorte qu'on privilégie les personnalités en ondes, de former des équipes qui ont une vraie complicité », observe Éric Salvail.

L'INTERNET COMME MEILLEUR ALLIÉ

Grâce à l'internet, les stations musicales ont plus que jamais la possibilité de rejoindre de nombreux auditeurs, et ce, partout sur la planète.

« Dans le temps, on aurait aimé donner un walkman à tout le monde pour qu'ils s'en servent pour écouter la radio. Aujourd'hui, les téléphones cellulaires augmentent la disponibilité de notre produit. Avant, si tu écoutais la radio en route vers Québec, tu ne recevais plus certains postes montréalais en arrivant à Drummondville. Avec l'application sur téléphone mobile, on peut écouter ce qu'on veut à l'autre bout de la planète », explique Jean-Sébastien Lemire.

Le web permet également aux stations d'interagir de manière beaucoup plus rapide avec l'auditoire, contraint par le passé d'appeler les stations pour communiquer ses demandes spéciales ou commentaires.

« On sait très vite ce qui fonctionne musicalement grâce à nos réseaux sociaux. L'écoute par l'internet aussi est en train de devenir un joueur important quand on regarde les résultats des sondages des stations de radio. D'année en année, ça va en grandissant », conclut le directeur de la programmation de CKOI.

PHOTO FOURNIE PAR COGECO

Jean-Sébastien Lemire, directeur de la programmation à CKOI