Nos «influenceurs» ont accepté l'invitation de La Presse à se réunir pour parler des enjeux qui marquent leur métier. En quelques minutes, la discussion s'anime. On parle entre autres de la place des femmes dans leurs équipes. Incursion dans la discussion.

Les ratios hommes/femmes

Philippe Desrosiers: Je trouve qu'il manque de femmes sur nos émissions. Non seulement à l'écran, mais en général. Parfois, je regarde [l'alignement des Francs-tireurs, qu'il réalise], et c'est juste des dudes...

Marie-Pierre Duval: [De notre côté], on a reçu [récemment] un commentaire déplorant qu'on ait fait une émission 100 % masculine. Ça m'a vraiment touchée, je me suis sentie visée! J'ai donc compté tous les segments qu'on avait faits depuis le début de la saison de Deux hommes en or pour voir le ratio hommes/femmes. Eh bien, ça donnait 47 femmes sur 101 segments. J'étais super fière de mon coup!

Carole-Andrée Laniel: J'ai [moi aussi] cette préoccupation. Quand je prépare Tout le monde en parle, j'ai un tableau sur lequel j'écris le nom des personnes que j'ai bookées. Quand j'ai deux gars [ensemble], je me mets à capoter. Je me dis: «Elle est où, la fille?»

Charles-Alexandre Théorêt: J'ai également senti [cette préoccupation] dans la deuxième saison de 125 Marie-Anne, où je travaillais pendant l'été. Avant, on s'en crissait, puis, un moment donné, on a commencé à en parler davantage. Cette préoccupation est venue de Twitter et de Facebook. Ce qu'on a compris, c'est que ça venait de groupes - Aurélie Lanctôt et tout ça - qui se sont dit: «On va écrire aux émissions.»

Luc Fortin: En radio privée, c'est aussi une stratégie commerciale. On met plus de femmes en ondes pour mieux rejoindre les auditrices. C'est super important!

Marie-Claude Beaucage: [C'est vrai], il faut plus de femmes assises autour de la table.

Carole-Andrée Laniel: Et les filles ne disent pas oui vite!

Carole Bouchard: Quand j'étais recherchiste pour Il va y avoir du sport, on trouvait peu de femmes qui voulaient débattre...

Philippe Desrosiers: Vous parlez de l'importance d'avoir de bons ratios hommes/femmes dans les équipes, mais ce qui compte davantage, selon moi, c'est d'avoir des féministes.

Marie-Claude Beaucage: Je ne veux pas passer pour la fatigante de service, mais j'ai dit [cette année] à mon équipe qu'à compétences égales, on prendrait des femmes.

Carole-Andrée Laniel: Et ça fait d'aussi bons shows.

Philippe Desrosiers: Quand j'ai fait la construction de l'émission Les éclaireurs  [sur ICI Radio-Canada Première], j'ai fait le choix délibéré de mettre une majorité de filles en ondes. Ç'a été souligné un peu partout, notamment à La soirée est (encore) jeune. Jean-Sébastien [Girard] faisait tout le temps des jokes en parlant des «éclaireuses». C'est intéressant parce qu'il y a peu de monde qui fait des blagues sur les pénis de La soirée.

Marie-Claude Beaucage: Mais [la faible proportion de femmes à La soirée] est quand même soulignée...

Charles-Alexandre Théorêt: Tous nos animateurs sont des gars. On a juste deux invités par émission, ça arrive que ce soit des gars. Oui, on fait un effort, mais ça me fâche quand les gens disent: «C'est encore un show de gars.» C'est sûr! Je ne peux pas remplacer Jean-Philippe Wauthier, ça passerait mal. Donc ça se peut que ce soit un show de gars, comme il y a des shows de filles.

Marie-Pierre Duval: [Pour ma part], j'ai toujours travaillé avec des animateurs hommes, que ce soit Guy A. Lepage, Richard Martineau, Benoît Dutrizac, Jean-Philippe Wauthier ou Patrick Lagacé. J'ai toujours été la fille dans un univers de gars. Ça change mon rôle, parce que j'apporte un autre point de vue. [...] Ça change le contenu.

Charles-Alexandre Théorêt: La diversité dans ton équipe se reflète en ondes. Ces dernières semaines, par exemple, si nous n'avions été que des hommes à la recherche, certains éléments du débat sur le féminisme nous auraient échappé. [...] La prochaine préoccupation sera la place de la [diversité culturelle]. Il n'y en a pas tant... Dans les émissions sur lesquelles j'ai travaillé, je n'ai jamais travaillé avec quelqu'un qui n'était pas «pure laine».

Le manque de diversité culturelle

Carole-Andrée Laniel: Je trouve effectivement que ce qui manque, en ce moment, c'est la place que l'on accorde à la diversité culturelle.

Marie-Claude Beaucage: On ne peut pas se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre.

Charles-Alexandre Théorêt: Les communautés culturelles ne sont pas toujours là parce que leurs membres ne parlent pas toujours français. Le nombre de fois où je cherchais des Grecs pour me parler de la situation politique en Grèce... Ils parlaient tous anglais! Je ne peux pas les mettre en ondes.

Question: Et trouvez-vous que nos émissions sont très «montréalocentristes»?

Charles-Alexandre Théorêt: Les jobs sont sur le Plateau, à Montréal. C'est géographique.

Question: Peut-on encore parler aux gens des régions?

Charles-Alexandre Théorêt: On essaie!

Carole-Andrée Laniel: On se le rappelle.

Philippe Desrosiers: Il faut faire attention de ne pas tomber dans les dégustations de foie gras. En équipe, on va discuter et prendre un verre dans le Mile End. S'il tombe une bombe dans ce coin-là, on n'a plus de sujets de conversation.

Marie-Claude Beaucage: Quand on arrive en ondes et qu'on parle de ça, ce n'est pas toujours gagnant. J'ai déjà fait une émission où l'on faisait une dégustation d'huîtres. Tu y repenses après et tu te demandes: «Qui fait vraiment ça dans la vie?» Probablement pas notre auditeur type...

Carole Bouchard: Quand je vais chez mes parents au Saguenay-Lac-Saint-Jean, je regarde la télévision et je me rends compte à quel point on le fait avec le point de vue de Montréal. En région, c'est le même monde, ils sont aussi instruits qu'ici, mais, en même temps, on voit l'actualité avec [des lunettes] montréalaises. Quand tu regardes la télé en région, tu te sens moins inclus.