Terry DiMonte anime l'émission du matin de CHOM-FM depuis 1984, avec un hiatus de quatre ans à Calgary et quelques années dans des stations concurrentes à Montréal. Ce gars de Verdun, né d'un père d'origine italienne et d'une mère canadienne-anglaise, a grandi à Pierrefonds, dans les années 60. Discussion sur les deux solitudes...

Marc Cassivi: Je t'écoutais souvent le matin à CHOM quand j'avais 12 ans et que mon père me conduisait à l'école. Et aujourd'hui, je t'écoute souvent le matin en conduisant mes garçons, qui ont 12 et 9 ans. J'espère que ça ne te donne pas un coup de vieux!

Terry DiMonte: Au contraire! Ça me fait très plaisir de l'entendre. Je rencontre d'autres parents qui me disent la même chose.

Marc Cassivi: Ça fait plus de 30 ans quand même!

Terry DiMonte: J'avais 26 ans quand j'ai commencé. J'ai eu de la chance. CHOM avait des difficultés, alors ils m'ont confié l'émission du matin. J'étais à Winnipeg à l'époque. Le timing était parfait. Il n'y avait pas de pression, alors on nous laissait une très grande liberté.

Marc Cassivi: Depuis ce temps, tu fais partie du tissu social montréalais...

Terry DiMonte: Je suis un anglo, mais je me sens aussi québécois que n'importe quel gars qui se dit Québécois de souche. Je suis très attaché au Québec et à Montréal. C'est ce qui coule dans mes veines. J'ai passé quatre ans à Calgary - ce n'était pas mon premier choix - et le Québec me manquait énormément. Je me souviens d'une visite, alors que j'habitais à Calgary, chez mon amie Sylvie Brunetta à Laval. Elle écoutait une chanson de Jean-Pierre Ferland [Un peu plus haut, un peu plus loin], chantée par Céline Dion et Ginette Reno sur les plaines d'Abraham. Quand Ginette Reno a chanté, c'était tellement puissant que j'en ai été ému presque aux larmes. Sylvie s'est retournée et elle m'a dit: «Heille, qu'est-ce qui se passe avec toi?» Ça me touchait tout autant qu'elle, même si je suis une maudite tête carrée! [Rires] Ce qui distingue le Québec, je ne sais pas comment le décrire, je ne m'en sens pas toujours partie prenante, mais je le comprends. J'écoutais des idoles québécoises chanter à Québec une chanson québécoise écrite par un monument de la chanson québécoise, et ça m'a fait vibrer. Je suis reparti en Alberta et j'ai réalisé...

Marc Cassivi: ... à quel point le Québec te manquait?

Terry DiMonte: À quel point je suis québécois! Même si c'est parfois compliqué. Je me souviens d'un été, à NDG, dans les années 80: un gars qui s'appelle Tony avait un resto qui s'appelait Cosmo's et je l'ai regardé un jour, cet homme dans la soixantaine juché sur une échelle, repeindre son affiche pour cacher les mots anglais, parce qu'il avait eu des problèmes avec la «police linguistique». Ça m'avait fait mal. Je viens d'ici aussi. Je suis né ici. Et on me disait que ma langue n'avait pas vraiment sa place. Mais quand Ginette Reno chante, j'ai la gorge nouée. C'est un sentiment étrange.

Marc Cassivi: Mais comprends-tu que, pour assurer sa survie, il faut protéger la langue française?

Terry DiMonte: Je suis absolument en faveur de la loi 101. Certains refusent de croire que les anglophones comprennent les aspirations des francophones, mais c'est le cas pour la majorité d'entre nous. J'ai vu l'évolution des choses. J'étais un enfant à Verdun et tout était écrit en anglais. Ce n'était pas juste ni équitable. C'est difficile pour plusieurs de le comprendre, mais du point de vue des anglophones, [l'adoption de la Charte de la langue française] en 1977, c'était tout un choc. Aujourd'hui, avec le recul, je le comprends très bien. Je le dis souvent: si tu ne peux pas t'acheter un billet de métro, commander au restaurant ou demander ton chemin en français au Québec, tu devrais suivre des cours de français ou partir. Parce que le français est la langue de la majorité.

Marc Cassivi: La loi 101 a permis à des enfants d'immigrés comme Sugar Sammy de devenir bilingues ou trilingues.

Terry DiMonte: Et elle a permis de former une génération de Sugar Sammy, parfaitement à l'aise en français comme en anglais. Je suis né et j'ai grandi ici. Et pourtant, je n'ai pas eu la chance d'apprendre le français [assez bien] pour qu'on puisse faire cette entrevue en français! Je parle français comme un anglophone. Mon père parlait l'italien à la maison et il a épousé une anglophone. Ses frères ont épousé des francophones, alors le seul français que j'ai appris était celui de mes «matantes». Je comprends que le français est ce qui rend le Québec unique. Mais parfois, les radicaux - autant les «angryphones» anglos que les ultranationalistes francophones - me désespèrent. Les choses ont beaucoup évolué, mais il y a encore des gens de part et d'autre qui ne veulent pas s'entendre.

Marc Cassivi: La grande majorité d'entre nous vit tout de même de manière paisible...

Terry DiMonte: De temps à autre, dans un commerce, quelqu'un dit: «Bonjour/Hi!» Pour moi, ce n'est pas la fin du monde. Même si je comprends le sentiment d'insécurité. Cela dit, je n'ai jamais senti que ma présence ici nuisait au français de quelque manière que ce soit. Mes grands-parents sont nés en Italie, mes oncles et mes tantes ne parlaient pas un mot d'anglais, mes cousins sont francophones... Quand j'ai vu ce propriétaire de resto repeindre son affiche pour enlever l'anglais, je me suis senti mal parce que je me sens québécois. Je ne me sens pas comme une menace au Québec.

Marc Cassivi: De quelle manière le Québec a-t-il évolué depuis les 32 ans que tu fais de la radio le matin?

Terry DiMonte: Je crois que les choses se sont améliorées. La majorité des anglophones qui sont restés - parce que plusieurs sont partis dans les années 70 - sont restés parce qu'ils se sentent chez eux ici. On ne se sent pas étrangers au Québec. Beaucoup de mes amis du secondaire sont partis parce qu'ils avaient peur. Mais la nouvelle génération d'anglophones ne voit plus les choses de la même façon.

Marc Cassivi: Elle ne se sent pas marginalisée...

Terry DiMonte: C'est sûr que, parfois, je vois un gars en colère à la télévision et je me dis qu'il serait heureux s'il ne restait plus un seul anglophone au Québec. Ce n'est pas très plaisant, mais c'est vraiment un discours très minoritaire, que l'on entend de moins en moins. Je le dis souvent à mes amis qui vivent dans l'Ouest: le Québec, c'est l'endroit le plus intéressant où vivre dans ce pays et il n'y a pas de gens plus généreux que les Québécois.

Marc Cassivi: Et pourtant, malgré une trentaine d'années à la barre d'une émission du matin très populaire à Montréal, tu n'es toujours pas très connu des francophones. Il reste un schisme culturel...

Terry DiMonte: Bien sûr. C'est compréhensible. Mes amis ontariens ou albertains me demandent aussi: «Qui sont ces vedettes au gala de l'ADISQ?» Je suis un très grand fan de Serge Fiori, qui était une de mes idoles quand j'étais ado et que j'ai interviewé pour la première fois récemment. Il m'a invité chez lui. C'est un de mes plus beaux souvenirs d'entrevue à vie. Il m'a raconté ironiquement comment, après le fameux concert de la Saint-Jean à la montagne, en 1976, après avoir cru qu'ils auraient bientôt un pays et veillé toute la nuit, les gars d'Harmonium étaient allés déjeuner chez Beauty's, le bastion de la culture anglo-juive montréalaise. C'est ça, pour moi, Montréal!