Deux nouvelles rotatives pour 32 millions d'euros, à peu près autant pour le numérique. Alors que la presse ne sait comment gérer la fin annoncée du papier, Ouest-France investit résolument dans l'avenir de ses journaux traditionnels, mais en misant la même somme sur le web, dans l'espoir de capter de nouveaux lecteurs.

Le plus grand quotidien français vient de commencer à faire tourner à son siège rennais une première rotative allemande dernier cri (une deuxième sera en service début 2016). Les deux machines permettront d'imprimer plus vite plus du tiers du tirage (diffusion: 750 000 exemplaires). Objectif: réduire les coûts de production et augmenter la pagination en couleur, demande de longue date des annonceurs.

La crise n'épargne pourtant pas le grand quotidien régional, dont la diffusion a baissé d'environ 70 000 exemplaires depuis 2007, reconnaît le vice-président du directoire et directeur général Louis Echelard.

Ouest-France devrait voir cette année sa diffusion s'effriter d'environ 2%, comme en 2013, prévoit-il lors d'un entretien avec l'AFP, tandis que pour 2015, «on peut imaginer qu'une tendance lourde se prolonge». Mais après deux exercices déficitaires, au cours desquels le journal a perdu au total près de 9 millions d'euros, il devrait parvenir à dégager cette année «un résultat d'exploitation largement positif», assure M. Echelard.

Confronté comme ses concurrents à une baisse de ses recettes publicitaires, le grand journal de l'Ouest a dû se résoudre à augmenter deux fois son prix de vente depuis deux ans pour arriver à 95 centimes. La méthode rapporte mais fait perdre des lecteurs. À l'inverse, le quotidien a enregistré «des revenus très significatifs avec les hors-série et suppléments», souligne M. Echelard.

Le journal a lancé à l'été 2013 des éditions numériques payantes qui comptent désormais 25 000 abonnés, une goutte d'eau par rapport aux 500 000 clients qui reçoivent encore chaque matin la version papier dans leur boîte aux lettres. Pas question dans ces conditions de miser sur la disparition du journal traditionnel, d'autant «qu'on ne connaît pas l'échéance s'il y en a une», observe M. Echelard, qui, à 64 ans, est le numéro deux d'Ouest-France après le président du directoire François Régis Hutin, 85 ans.

La stratégie vise donc à réduire les coûts de production du papier, ce que les nouvelles rotatives, amorties en cinq ans, devraient permettre de faire. Côté effectifs, un plan de départs volontaires lancé l'an dernier a été accepté par 66 salariés.

En même temps, Ouest-France tente de rationaliser son implantation territoriale, créant une nouvelle antenne à Granville (Manche) mais regroupant ailleurs certaines de ses 53 éditions: Saint-Lô et Cherbourg dans la Manche, Brest et Morlaix dans le Finistère, fief du Télégramme, son seul concurrent breton.

30 millions dans le numérique

Le journal n'abandonne pas pour autant la couverture de ces zones, qui doit être assurée par des «reporters d'édition», des journalistes qui pourront passer d'un secteur à l'autre suivant les besoins de l'actualité, explique le directeur des rédactions et de l'information, Jean-Luc Evin.

De tels journalistes voltigeurs sont déjà à l'oeuvre dans les zones périurbaines où se fait la croissance démographique de l'Ouest, autour de Rennes et Nantes notamment.

Pour préparer l'avenir, le journal investit environ 30 millions d'euros dans son développement numérique. Quarante journalistes et autant de techniciens (sur un effectif de 1500 personnes) travaillent sur les éditions en ligne: un site gratuit et l'intégralité des éditions locales par abonnement ou à l'unité sont déjà proposés.

Le journal a en outre lancé l'an dernier, uniquement en numérique, «L'édition du soir», qui se veut en recul sur l'actualité chaude et reste pour le moment gratuite, avec environ 30 000 lecteurs par jour. Entre publicité et abonnements, le web rapporte désormais 15% des 300 millions d'euros de chiffre d'affaires du journal.

En plus du chantier de sa nouvelle salle de rédaction, Ouest-France prévoit de lancer en 2015 une «édition générale», un site payant qui regroupera l'information nationale et internationale, mais sans les nouvelles locales. L'objectif n'est pas pour autant de chercher à concurrencer les nationaux. «La problématique de la presse doit être celles des non-lecteurs», explique M. Echelard.